Comment ces
révolutions ont-t-elles contribué à transformer et donner cette nouvelle dimension
à facebook, Twitter et Youtube ? Par Nadia Aissaoui et Ziad Majed
pour Mediapart.fr
La nouvelle
génération de citoyens et citoyennes arabes peuvent légitimement se féliciter
d’avoir octroyé aux réseaux sociaux et à certains espaces virtuels une fonction
qui dépasse probablement les intentions de leurs concepteurs.
L’ère de la
mondialisation que nous connaissons qui a mis à disposition des moyens de
communication sans précédent a eu un impact révolutionnaire dans la région. Il
a suffit de quelques claviers, d’une connexion internet et de téléphones
portables dotés de caméras pour que quelques individus ou groupes se relient à
des millions de personnes et partagent quasiment en temps réel de
l’information, des idées et des émotions dépassant de loin les moyens de mobilisation
classiques.
Les
révolutions tunisienne et égyptienne, suivies des révolutions au Yémen, en
Libye et en Syrie en cours ainsi que le soulèvement réprimé au Bahrein en
passant par les mouvements de contestation au Maroc, en Algérie, en Jordanie, à
Oman et en Arabie saoudite ont toutes utilisé twitter, mais surtout facebook et
youtube.
Les
tunisiens et les égyptiens ont inventé une identité nouvelle au réseau
facebook qui en plus d’être un lieu de relations et d’exhibition de
particularités et d’expressions diverses s’est trouvé être un instrument
d’incitation à la révolte, et à la construction d’un modèle politique
alternatif à celui existant. Un modèle qui a projeté le virtuel sur la réalité.
Quant aux
syriens, ils ont de leur côté su exploiter les services de youtube pour pallier
à l’absence de médias indépendants dans la république du silence. Par ce biais,
et grâce à leurs téléphones, ils sont parvenus à diffuser précisément tout ce
que les autorités cherchaient à cacher : le courage exemplaire des
manifestants débarrassés de la peur et se débarrassant de portraits et de
statues incarnant le régime d’un côté, et la barbarie du régime et ses crimes
contre les manifestants (faisant déjà plus de 200 victimes). Tant et si bien
que les médias ont trouvé dans ces sources une alternative réelle, y compris
les plus récalcitrants d’entre eux, sommés par la force des choses à renouer
avec les règles minimales de l’éthique du métier au regard de la présence
obstinée des visages, des voix et du sang de la révolte à laquelle dorénavant
nul ne peut demeurer indifférent.
Malgré les
multiples tentatives des régimes de mettre fin à ces fuites, elles ont été dans
la plupart des cas mises en échec. D’ailleurs ces régimes dont la simple
évocation de leurs services semaient autrefois la terreur auprès des
populations, illustrent aujourd’hui leur déroute par la confiscation des
téléphones portables des manifestants ou par la tentative de leur soutirer les
mots de passe de leurs comptes virtuels comme en ont témoigné des
activistes égyptiens et syriens arrêtés. Il suffit d’entendre Bachar al Assad
(vanté ainsi que son épouse par les médias occidentaux pour sa jeunesse
et son ouverture sur les progrès technologiques) formuler une simple phrase
durant son discours devant le « parlement » pour mesurer l’ampleur de
la débâcle dans laquelle son régime se trouve : « La situation est
difficile à cause de l’expansion d’internet » !
Pour aller
plus loin, les moyens de communication cités ont donné corps à une véritable
révolution dans la révolution. Ils ont introduit dans les relations sociales
des changements fondamentaux à plusieurs niveaux. Dans des sociétés où les
libertés individuelles et collectives sont étouffées, l’espace virtuel
accessible à tous et à toutes a momentanément remplacé l’espace public. Mieux
encore, sa capacité d’accueil infinie et sa gestion collective offrent un
modèle de gouvernance participative innovant à maints égards. Ainsi, moins de
distinction de classes sociales, de générations, moins de hiérarchie et
surtout un lieu de prédilection pour la participation des femmes au débat
public. Ce dernier point revêt une importance particulière pour toutes
celles entravées par leurs responsabilités familiales ou par le problème de la
mixité (pour certains pays comme l’Arabie saoudite ou le Yémen par
exemple). Depuis leurs claviers, elles ont (re)conquit des espaces de
réflexion, de participation et d’engagement qui leur avaient été confisqués
dans la vie réelle.
Grâce à cet
univers de réseaux virtuels, nous assistons à la naissance de nouveaux
paradigmes dans les modèles démocratiques et les formes de mobilisation qui
sont entrain de transformer à jamais la région au grand dam des régimes qui
tentent ou ont tenté de garder le strict contrôle.
Ainsi
internet avec ses possibilités infinies et ses réseaux tentaculaires serait en
passe de mettre à mal les pires despotes. La jeunesse arabe en a saisi toute
l’importance et se l’est approprié pour arracher ses droits fondamentaux et
œuvrer pour le changement. C’est donc l’histoire surprenante d’un mariage
heureux avec la modernité qui sonne le glas de l’oppression et de l’enfermement
dans la région. Et si facebook, twitter, youtube ainsi que d’autres services et
blogs ont donné à des millions de personnes une chance de trouver le chemin de
la liberté à partir de leurs claviers ou des touches de leurs téléphones, ils
ont par la même occasion contribué à la concrétisation de rêves autrefois
impensables sur les places de Tunis ou du Caire.
Il reste à
voir si l’effet papillon généré par ces millions d’ailes se déploiera sur les
autres places des pays arabes (et non arabes) réconciliant ainsi libertés
privés retrouvés derrière les écrans et libertés publiques arrachées sur les
places des villes. Cela nécessitera sans doute bien plus qu’une révolution
technologique…
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Il faut
rappeler que le soulèvement des jeunes iraniens en 2009 contre la fraude
électorale du régime et la réélection de Ahmadi Najad avait déjà octroyé à
twitter un sens politique. Grace aux messages courts, aux photos et
témoignages, le régime de Téhéran fut empêché de jeter le « voile »
sur les marches populaires massives contre l’usurpation du pouvoir par la
fraude et la répression exercée par ses services sur les manifestants.
Des chiffres sur les utilisateurs du net et sur le nombre des facebookers :
Egypte :
5,720,000 facebookers sur 17,000,000 d’utilisateurs internet, sur une
population de 80 millions.
Tunisie :
1,929,000 facebookers sur 3,600,000 utilisateurs internet sur une population de
11 millions.
Bahrain :
251,400 facebookers sur 683,000 utilisateurs internet sur une population de
750,000.
Syrie : la
page facebook sur
la quelle sont postées toutes les vidéos youtube de la révolution syrienne,
destinée en particulier aux médias.