Historien,
journaliste et intellectuel engagé, Kassir a consacré son œuvre au Liban, mais
aussi à la démocratie en Syrie, à la cause palestinienne et à la renaissance
arabe.
Aujourd’hui,
avec le soulèvement du peuple syrien, l’anniversaire de son
assassinat, non sans tristesse, se fait plus vibrant et plus chargé de
symboles.
Par Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr
Une vie
Samir Kassir est né à Beyrouth le
4 mai 1960 de père palestinien et de mère syrienne. Il a fait ses études
au Lycée français avant de s’installer à Paris en 1981 (6 ans après le début de
la guerre civile libanaise), pour y poursuivre ses études universitaires. Il y obtiendra
un DEA en philosophie politique à l’université de la Sorbonne en 1984 et un doctorat
en histoire contemporaine à l’université de Paris IV en 1990.
Durant son séjour parisien,
Kassir a contribué à de nombreux journaux et publications dont le quotidien arabophone
(londonien) « Al-Hayat » et francophone (Beyrouthin) « l’Orient-le-Jour ».
Il a également publié dans l’hebdomadaire arabophone (Parisien) « le
Septième jour », le mensuel « Le monde diplomatique » et la
version française de « La revue d’études palestiniennes ».
En 1992, avec son ami historien
et éditeur syrien Farouk Mardam Bey, il a publié « Itinéraires de Paris à
Jérusalem : La France et le conflit arabo-israélien » qui analysait l’histoire
des politiques de la France au Moyen-orient en lien avec la Nakba
palestinienne et le conflit israélo-arabe. Pour
Mardam-Bey, ils ont tous deux cherché à répondre à une question qui leur tenait
particulièrement à cœur à savoir pourquoi le conflit israélo-arabe suscite
autant de passion en France? Pour cela, les deux auteurs ont alors mené une enquête
partant de la France et de son histoire. Ils sont parvenus à leurs fins à
travers l’analyse de la politique du Ministère des Affaires Etrangères
français, des attitudes et discours des partis politiques, de l’opinion
publique, des intellectuels, de la communauté juive, et de la communauté
arabo-musulmane.
En 1993, Samir Kassir rentre au
Liban pour enseigner à l’université Saint Joseph et intégrer An-Nahar (quotidien
libanais) en tant qu’éditorialiste. Il publie en 1994 sa thèse de doctorat
« La guerre du Liban : de la dissension nationale au conflit
régional » analysant l’évolution de la guerre civile entre 1975 et 1982 et
les interventions étrangères qui l’ont transformé en un champ de bataille entre
différents acteurs régionaux, voire internationaux.
En 1995, Samir lance un mensuel
francophone « L’Orient Express », attirant des intellectuels et des
jeunes écrivains pour analyser et mettre en débat des questions politiques,
culturelles et sociales dans un cadre à la fois sérieux et rénovateur. Le
magazine ne vivra que trois années étant donné les difficultés économiques qui
se sont imposées.
Vers la fin des années 90, les
articles et éditoriaux de Samir dans An-Nahar ont été parmi les plus
remarquables en termes de dénonciation des politiques du régime de Damas et ses
services de renseignements au Liban. Il en était de même concernant les
pratiques des appareils sécuritaires libanais ; ce qui lui a valu un
certain nombre de menaces téléphoniques, confiscation du passeport en Avril
2001 et poursuites en voiture orchestrées
par les services. Des actes d’intimidation manifestes qui n’auront pourtant
aucune prise sur la ténacité et la détermination de Samir.
En 2003, il publie « Histoire de Beyrouth » dans
lequel il analyse « l’histoire totale » (inspiré par Fernand Braudel)
de la ville à travers ses familles, sa culture, son économie, son architecture,
sa croissance urbaine, son développement sociétal et son rapport avec les
autres régions du Liban et villes arabes et méditerranéennes.
Puis il publie en 2004 deux
livres « La démocratie de la Syrie et l’indépendance du Liban » et
« Militaires contre qui ? » qui compilent ses articles
soulignant notamment le lien existant entre le changement démocratique en Syrie
et l’indépendance du Liban, et la contradiction entre la cause démocratique et
les valeurs républicaines face à l’emprise militaire et sécuritaire. Il faut souligner ici que Samir a sorti ces deux
livres dans un contexte de peur et d’autocensure qui régnaient en maître dans
le pays.
Son dernier livre
« considérations sur le malheur arabe » pose un regard lucide sur la réalité
du monde arabe tout en s’élevant contre le fatalisme ambiant, la victimisation
ou le culturalisme, en réaffirmant que modernité et arabisme ne sont pas
incompatibles. Il analyse de manière pointue les raisons de l’avortement de la
renaissance arabe des 19ème et 20ème siècles, et attribue
le marasme des arabes davantage à leur géographie qu’à leur histoire. Évoquant
son ouvrage il disait : « On parle si
mal du monde arabe qu’il m’a semblé nécessaire de remettre à plat certaines
conceptions. Notamment celle qui voudrait que les Arabes soient condamnés à
toujours vivre dans les conditions dramatiques du présent. Il y a trois ou
quatre décennies, les Arabes paraissaient avoir un avenir plein de promesses.
Il faut certes se demander pourquoi cela n’a pas été le cas, mais, plutôt que
d’analyser cet échec, la priorité a été pour moi de rappeler que les Arabes ont
connu un processus de modernisation et que les valeurs de l’universalisme
prévalaient parmi eux il n’y a pas très longtemps. En ce sens, c’est un livre
de mobilisation contre le discours de la victimisation. Et c’est peut-être là
qu’il y a de la polémique. Mais c’est une polémique qui prend sens d’abord par
rapport à ce qu’on peut entendre dans le monde arabe lui-même - où je
vis. » (Propos recueillis par Christophe Kantcheff, Politis,
décembre 2004)
Un engagement
A partir d’Octobre 2004, Samir Kassir a figuré parmi les fondateurs du « Mouvement de la gauche démocratique » (avec des écrivains, étudiants et anciens militants politiques), une démarche qui s’inscrivait dans le droit fil de ses convictions et son engagement écrit. Après l’assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri le 14 février 2005, Samir a été un des architectes du soulèvement populaire contre l’hégémonie syrienne auquel il donnera l’appellation célèbre « Intifada de l’indépendance ». Il s’est fait l'un des portes-voix de cette Intifada par ses articles et sa présence quasi continue sur la place des martyrs à Beyrouth, animant inlassablement débats et discussions avec les politiques, les médias et les étudiants concernant les enjeux futurs et les implications de la recouverte de la souveraineté nationale.
A partir d’Octobre 2004, Samir Kassir a figuré parmi les fondateurs du « Mouvement de la gauche démocratique » (avec des écrivains, étudiants et anciens militants politiques), une démarche qui s’inscrivait dans le droit fil de ses convictions et son engagement écrit. Après l’assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri le 14 février 2005, Samir a été un des architectes du soulèvement populaire contre l’hégémonie syrienne auquel il donnera l’appellation célèbre « Intifada de l’indépendance ». Il s’est fait l'un des portes-voix de cette Intifada par ses articles et sa présence quasi continue sur la place des martyrs à Beyrouth, animant inlassablement débats et discussions avec les politiques, les médias et les étudiants concernant les enjeux futurs et les implications de la recouverte de la souveraineté nationale.
Critique, perspicace et lucide,
Samir a été le premier à appeler de ses vœux l’élaboration d’un programme de
réforme du système politique libanais sur le plan économique mais aussi sur
l’épineux sujet du confessionnalisme. Dans le même temps, il n’a jamais manqué
d’exprimer son attachement au rejet des manifestations discriminatoires (voire
racistes) vis-à-vis des syriens. Dans ses articles et depuis les tribunes de la
place des martyrs, il n’a eu de cesse de rappeler la nécessité de distinguer
entre les pratiques du régime syrien et ses services de renseignements au Liban
(auxquels sont associés ses alliés libanais) et le peuple syrien. D’ailleurs,
il a toujours figuré parmi les signataires de pétitions et de lettres de
soutien adressées aux intellectuels syriens opposés au régime de Damas,
considérant que leur lutte était la sienne.
L’assassinat
Le 2 juin 2005 alors que Samir
s’apprêtait à se rendre à son lieu de travail, l’explosion d’une bombe placée
en dessous de son véhicule met brutalement fin à sa vie. La nouvelle libère non
seulement une tristesse immense mais aussi une colère infinie dans les cercles culturels
au Liban, en Palestine et en Syrie. De nombreuses marches et rassemblements ont
eu lieu à Beyrouth, Ramallah, Paris et à Washington. Intellectuels arabes,
français, journalistes libanais et étrangers publient de nombreux communiqués
condamnant cet assassinat et rendant hommage au martyr Kassir, au courage de
ses positions et son engagement pour la liberté et l’indépendance.
Sa famille, ses amis et camarades
accusent le régime syrien et ses sbires libanais d’être à l’origine de son
assassinat. A leur demande, une enquête a été ouverte incluant la justice
française, Samir ayant été lui-même
citoyen français. L’enquête semble stagner, et le silence des milieux culturels
et journalistiques français - dont on a pourtant bâillonné à jamais un confrère
- se fait long.
Samir a symbolisé le courage et
la ténacité que nous avons vu se déployer dans ce printemps arabe. Et même si
son départ violent prive le monde arabe de sa plume acérée et de son esprit
superbement subversif, il nous reste de lui des bourgeons d’obstination que nous commençons à voir éclore çà et là dans le monde arabe. Hier à
Tunis et au Caire, aujourd’hui peut-être à Tripoli et Sanaa et demain c’est sûr
à Damas…
Liens utiles :
La fondation Samir Kassir
(fondation culturelle basée à Beyrouth) :
Site dédié à Samir :
L’organisation SK eyes pour la défense des libertés et
la protection des journalistes : www.skeyesmedia.org
Le prix Samir Kassir:
www.samirkassiraward.org
Le prix Samir Kassir:
www.samirkassiraward.org