Il est rare que des événements d’une seule année s’entrechoquent avec une intensité aussi spectaculaire que celle observée à la fin de 2024.
En l’espace de dix jours, le régime d’Assad en Syrie a vacillé, s’est effondré, et son président s’est enfui, laissant derrière lui un héritage sinistre : des fosses communes, un archipel de prisons et de camps de détention et des mercenaires disposés à prêter allégeance au plus offrant.
Ce
bouleversement a été précédé par un cessez-le-feu fragile au Liban, à la suite
d'une guerre israélienne féroce, qui a causé des destructions massives et
l’anéantissement de milliers de vies humaines. Parallèlement, le génocide à
Gaza s’est poursuivi et se poursuit toujours, renforcé de complicités ou de
dénonciations vaines, même si des mécanismes naissants de justice
internationale commencent à cibler le gouvernement de Benjamin Netanyahou.
La Syrie : l’ouverture du champ des possibles
Le 8
décembre 2024, les Syriens ont renversé le régime assadien après treize ans de
révolution, de guerre, d’interventions étrangères et de profondes
transformations sociétales causées par des massacres de masse (plus de 500 000
morts), des déplacements forcés de millions de personnes et un remodelage
démographique brutal.
Cette chute marque la fin d’un régime qui aura régné d’une main de fer durant plus d’un demi-siècle. Les figures du pouvoir ont disparu, mais leurs stigmates demeurent : des centaines de centres de torture désaffectés, des dizaines de statues géantes à la gloire du dictateur détruites, et des fosses communes cachant des dizaines de milliers de corps encore à peine explorées, dans un chaos révélateur du manque de moyens et de compétences. Le pays hérite d’une économie dévastée, d’un territoire toujours fragmenté et de villes en ruines.
Cependant, se défaire du joug d’Assad n’est que la première étape, et la plus importante, d’un processus ardu. La reconstruction de la Syrie exigera de surmonter une myriade de défis : apaiser les tensions communautaires, garantir l’unité territoriale, instaurer un système politique respectant le pluralisme, les droits kurdes et les libertés fondamentales, assurer la sécurité des frontières, bâtir de nouvelles institutions militaires et administratives, rédiger une constitution équitable et établir un cadre électoral inclusif. Il faudra également mettre en place un système judiciaire indépendant, abroger les lois d’exception et mettre en œuvre une justice transitionnelle pour répondre aux blessures profondes laissées par les crimes assadiens.
À cela s’ajoutent des tâches titanesques : relancer l’économie, négocier la levée des sanctions internationales, reconstruire les infrastructures, gérer le retour d’une partie des huit millions de réfugiés, établir des partenariats commerciaux avec les pays voisins comme la Turquie, l’Irak, le Liban et la Jordanie, et repositionner le Golan occupé par Israël au cœur des priorités diplomatiques.
Si toutefois l’issue de ce processus semble incertaine à court et moyen terme, il est indéniable que la société syrienne a retrouvé sa voix et sa place sur l’échiquier politique, rompant avec un demi-siècle d’invisibilisation, de tyrannie, de torture et de carnages sous le régime des Assad, père et fils.
Au Liban, un cessez-le-feu sous haute tension
L’accord de cessez-le-feu au Liban, signé le 26 novembre 2024, a suspendu les hostilités israéliennes dans le sud et l’est du pays ainsi que dans la banlieue sud de Beyrouth. Il a aussi permis le retour de centaines de milliers de déplacés, bien que beaucoup aient retrouvé des foyers réduits en cendres et des infrastructures indispensables à leur survie détruites. Pourtant, ce répit est précaire. Israël continue de violer l’accord (notamment dans les localités frontalières), sans réaction pour le moment de ses parrains américain et français, qui attendent probablement la fin des 60 jours estimés dans l’accord comme nécessaires pour arrêter toute opération militaire et pour le déploiement des troupes de l’armée libanaise et des casques bleus de la FINUL à la frontière.
Cette guerre de 14 mois a mis à nu les erreurs de calcul du Hezbollah et de l’Iran dans leur ouverture du « front libanais » en octobre 2023. Elle a dévoilé la vulnérabilité sécuritaire du parti chiite, fragilisé par son implication désastreuse pendant 10 ans dans le conflit syrien, où il s’est exposé aux services de renseignement israéliens et américains, ainsi qu'aux services russes et syriens. Elle a également révélé, outre la domination aérienne israélienne, l’impact militaire de l’intelligence artificielle, qui a permis l’assassinat des dirigeants du Hezbollah, dont son secrétaire général, Hassan Nasrallah.
Par ailleurs, les séquelles de la guerre sont multiples. Dans le sud, de nombreux villages frontaliers ont été totalement rasés et des terres agricoles brûlées par les Israéliens au phosphore blanc. Le Liban, déjà à genoux économiquement depuis 2019, dépend d'une aide internationale politiquement conditionnée. La guerre a exacerbé les fractures politiques internes, et la reconstruction devra certainement attendre en raison du manque de moyens et de lucidité par rapport aux enjeux régionaux après l’investiture du président américain élu Donald Trump.
Malgré ce contexte trouble, une rare lueur d’espoir se dessine : la possible relance des institutions étatiques libanaises par l’élection d’un président en janvier 2025, la formation d’un nouveau gouvernement et l’engagement d’un dialogue national sur une stratégie de défense, intégrant la question des armes et des frontières, pour à la fois profiter du changement en Syrie et exiger le respect de la résolution onusienne 1701 aux frontières avec Israël.
La Palestine : un génocide sans fin
En 2024, la guerre israélienne contre les Palestiniens de Gaza a atteint un sommet de barbarie, rarement connu sur un même territoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Des organisations comme la Fédération Internationale pour les Droits Humains, Amnesty International et Human Rights Watch, ainsi que des représentants des Nations unies et des centaines d’experts en droit international parlent désormais sans ambiguïté de génocide.
La
Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le premier
ministre israélien Netanyahou et son ancien ministre de la défense Gallant,
tandis que la Cour internationale de justice, déjà saisie par l’Afrique du Sud
qui accuse Israël de commettre un génocide, a officiellement reconnu
l’occupation israélienne des territoires palestiniens comme illégale, la
qualifiant même de système d’apartheid, donc de crime contre l’humanité. Bien
qu’importantes dans la bataille contre l’impunité d’Israël, ces avancées juridiques
n’ont toujours pas suffi à stopper la machine de guerre israélienne, qui
bénéficie d’un soutien et d’un financement américain (de 18 milliards de
dollars en un an) et d’une inaction complice de la majorité des gouvernements européens
(et de plusieurs gouvernements arabes).
Alors que 2024 s’est inscrite dans l’histoire comme l’année de l’apocalypse pour Gaza et sa population, 2025 s’annonce aussi pour les Palestiniens de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie comme celle des grands défis : résister aux tentatives israéliennes d’annexion au moment du retour de Trump, dont la politique pourrait catalyser les ambitions expansionnistes d’Israël.
Une triade levantine à la croisée des mondes
L’année
2024 s’est achevée donc sur trois dynamiques distinctes en Syrie, au Liban et
en Palestine, toutes sont néanmoins liées par un fil rouge : l’urgence
d’arrêter le génocide en cours et l’urgence de redessiner l’avenir politique de
la région.