Dans son nouvel ouvrage « une brève histoire de l’égalité » (Seuil, aôut 2021), l’économiste Thomas Piketty, auteur de travaux de référence sur le capitalisme, le capital et l’idéologie, se penche sur le mouvement historique vers l’égalité, à la fois sur le plan politique, social et économique. Il analyse les étapes dans ce qu’il qualifie de « marche mondiale vers l’égalité », prône une sortie de toutes les formes de « néocolonialisme » existant dans les rapports Nord/Sud et propose la construction d’un « socialisme démocratique, écologique et métissé » aux échelles nationales et internationales.
Des luttes, des revers et
des progrès
Piketty présente une histoire des inégalités entre classes sociales, couplée d’un récit non-linéaire des luttes, des mobilisations, des replis, des succès et des développements dont l’accumulation permet de vivre aujourd’hui dans un monde, malgré la persistance d’injustices, plus égalitaire que celui de 1950 ou de 1900, qui eux-mêmes l’étaient comparés à ceux de 1850 ou de 1780.
Cette évolution historique n’a pas cessé, bien qu’entravée par des revers et des régressions, de réduire les inégalités. Elle est surtout dûe aux révolutions populaires et combats politiques, à l’abolition de l’esclavagisme, à la mise en place de statuts juridiques, aux changements par rapport à la propriété des moyens de production et des revenus, et à l’éducation devenue gratuite et obligatoire. On la doit également à l’introduction de l’impôt progressif, aux acquis s’agissant de la protection sociale et sanitaire, aux luttes menées par les femmes et au suffrage universel.
Ainsi, les rapports de force établis par les grandes mobilisations politiques et sociales à travers l’histoire ont joué un rôle central dans le progrès, sans pour autant être suffisants. Car la marche vers l’égalité dépend, en plus des rapports de force, du débouché institutionnel auquel ces rapports permettent d’aboutir. Piketty rappelle dans ce sens que le grand défi confronté après chaque renversement des institutions existantes, fut leur remplacement par de nouvelles règles sociales, juridiques, fiscales, éducatives et par de nouveaux systèmes électoraux qui soient réellement émancipateurs et égalitaires. Et cela reste sans doute d’actualité.
Un Etat social redistributeur
L’économiste de gauche propose dans la continuité de la marche historique qu’il explore et analyse, d’opérer des changements structuraux, pour réduire ce qui reste des privilèges et des injustices aux niveaux internes et à l’échelle internationale.
Il soutient la mise en place d’un Etat social redistributeur qui étendrait ses services publics dans les "secteurs d’intérêt commun". Ceux-ci doivent être "démarchandisés". Il s’agit de la santé, l’éducation, la culture, les transports, et l’énergie. L’Etat devrait garantir l’emploi et répartir les richesses à travers les impôts, en taxant surtout les riches et leur ajoutant une taxe carbone, en appliquant la règle de l’imposition progressive non seulement sur les revenus, mais aussi sur le patrimoine et les larges héritages, quitte à élaborer une politique confiscatoire pour les 1% les plus fortunés.
Pour redistribuer les richesses, cet arsenal de mesures consacrerait des allocations très confortables à tous les jeunes, assurant ainsi dès le début de la vie active, une égalité des chances souvent sabotée par des facteurs sociaux ou familiaux décisifs.
Quant aux relations internationales et le clivage Nord/Sud, Piketty entend une poursuite du combat pour l’égalité à travers la redéfinition des rôles et responsabilités de la « communauté internationale », la lutte contre les évasions fiscales et leurs paradis, le versement d’impôts par les plus riches aux pays pauvres selon leurs populations, le remplacement des formes de domination et de colonialisme politique et économique par une démocratie transnationale, et un souverainisme universaliste.
L’égalité sera-t-elle un
jour atteinte ?
Tout dépend de comment on
la définit. Ce qui est sûr, c’est que les injustices sont injustifiables, que le
défi climatique s’impose à tous et toutes sur la planète, et que cela nécessite
plus que jamais une coopération et de nouvelles formes de production et de répartition
des richesses que l’ouvrage de Piketty nous invite à imaginer.
Ziad Majed
Article publié dans l'Orient Littéraire