dimanche 28 juin 2020

Dans la tête de Donald Trump

Ex-conseiller à la sécurité nationale du président américain Donald Trump et ancien ambassadeur de l’administration de George W. Bush auprès des Nations Unis, John Bolton, publie enfin son livre sur l’actuel chef de la maison blanche (The Room Where it Happened, a White House Memoir, Simon & Schuster, 2020).

Sa sortie a été ardemment attendue et pour cause. Les fuites savamment orchestrées et les tentatives multiples de Trump de bloquer sa parution, auguraient d’un contenu explosif et de récits alléchants et prometteurs pour les lecteurs curieux.  

Ces derniers ont effectivement été bien servis, parmi eux surtout les amateurs de «potins» politiques de première main. Ils étaient à l’affut des scandales liés aux célébrités, des scènes de ménage et des «incidents» diplomatiques illustrant un président ratant rarement l’occasion d’exhiber son ignorance. Les médias en quête de matière pour animer leurs plateaux et leurs talk-shows ont eu également de quoi faire.

Ainsi, on découvre à travers les témoignages de Bolton, un président qui ne fait confiance qu’à ses amis et proches, dont les avis sont une source majeure pour forger son opinion, voire décider d’orientations politiques d’importance. Il s’ennuie ou monopolise la parole durant les séances de briefing avec ses conseillers chargés de l’informer des dossiers dont il ne maîtrise aucun détail.

On mesure avec effarement la limite phénoménale des connaissances géopolitiques de cet homme, le plus puissant du monde. Il confond les pays Baltes avec les Balkans. Il s’étonne que la Finlande soit un état indépendant et apprend lors de son entretien avec l’ancienne cheffe de cabinet britannique que le Royaume Uni est une puissance nucléaire. Il considère en outre l’Europe comme une entité «pire que la Chine, mais en plus petit».

Les comptes-rendus de ses réunions révèlent son obsession liée à sa réélection, et la manière dont il élabore ses priorités politiques internes comme externes en fonction des vœux de sa base électorale. Plus loin, on prend connaissance de récits de scènes totalement absurdes qui dévoilent la capacité de Poutine à le manipuler (sur le Venezuela par exemple). Les échanges avec le président chinois sont encore plus surréalistes puisqu’il y évoque une «pression des américains» pour modifier la constitution afin de lui permettre de briguer un troisième mandat. En outre, on réalise un peu coi, la légèreté avec laquelle il exprime son soutien aux camps de concentration mis en place par Beijing pour y entasser (et torturer) des centaines de milliers de ses citoyens musulmans ouïgours. Quant à son rapport à certains leaders européens, on découvre sans surprise sa farouche hostilité à la chancelière allemande Merkel, au président français Macron, mais aussi aux institutions européennes et internationales ainsi qu’à l’alliance nord atlantique (de laquelle il voulait se retirer). 


La liste des bourdes, des provocations, des humeurs infantiles, des mauvaises décisions et des agissements dangereux est longue. Elle n’a cessé de s’allonger depuis de départ de Bolton. Preuve en est, la désastreuse gestion au bureau ovale du Covid-19, combinée à l’actuelle crise économique et aux ignobles réactions face à la nouvelle explosion de la question raciale aux États Unis. Ces dossiers en disent long sur l’incompétence avérée d’un président toujours plus irresponsable.

Si le livre extrêmement critique et racoleur apporte une meilleure connaissance du personnage pulsionnel et imprévisible de Trump, de son entourage proche, il n’offre cependant que peu de substance politique et analytique. Dans ce sens, l’ouvrage est à l’image de son auteur : un homme assoiffé de pouvoir et d’autorité, dont la longue carrière dans les administrations Reagan et surtout G. W. Bush rappelle l’arrogance, le réactionnisme et le mépris du droit international, des valeurs universelles et des résolutions onusiennes. Ses critiques sur l’absence de considérations humanistes de Trump s’agissant de la Syrie et de la Chine, sont aussi peu crédibles que les proclamations du président à l’innocence dans les affaires de favoritisme et d’opportunisme électoral.

D’une certaine façon, le livre s’inscrit donc dans l’air du temps aux Etats Unis et dans le monde, car il illustre parfaitement les conséquences de la montée fulgurante du populisme et de l’extrême droite. Plus inquiétant encore, il montre l’ampleur des risques résultant de la haine des élites, des institutions, et de l’establishment en général. Cette haine ouvre grande la porte du pouvoir à des acteurs peu instruits, peu ou pas familier à la chose politique et dont les égos démesurés font craindre plus de dérives autoritaires et de clivages dans les sociétés.

«The room where it happened» est de ce fait un récit intime du leadership de l’homme providentiel, du concept de la téléréalité en politique et de la fascination de la puissance de l’argent. Il met à nu le règne de plus en plus banalisé de la vulgaire virilité, de la xénophobie décomplexée, et de la culture du show business et du spectacle.  

Enfin, certains se demandent quel serait l’impact de la sortie du livre sur les choix des électeurs pour la présidentielle de novembre prochain. Les réponses semblent pour le moment mitigées. Il est probable qu’il contribue à une plus forte mobilisation des indécis et des indépendants. Pour ce qui est de la base fidèle à Trump et certains milieux républicains dont les intérêts ont été préservés par l’administration actuelle, il y a très peu de chances que les lignent bougent. D’ailleurs ces derniers ont déjà déclaré la guerre à Bolton, le qualifiant de « traître » et de dissident «ne cherchant que vengeance, notoriété et fortune». En cela, et en cela seulement, ils n’ont pas tout à fait tort…
Ziad Majed
Article paru dans l'Orient Littéraire, Juillet 2020