samedi 6 avril 2019

Du Moyen-Orient et des idées reçues

Dans un contexte de foisonnement de représentations du Moyen-Orient en France (et en Occident en général), Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud proposent avec leur ouvrage « Moyen-Orient, Idées reçues sur une région fracturée » (Editions le Cavalier Bleu, Paris 2019) des analyses offrant des points de repère nuancés, afin de mieux appréhender cette région du monde.

Leur travail aborde des questions selon trois axes. Dans le premier, « Histoires, sociétés et ressources », ils répondent à des assertions sur les droits des femmes dans la région, l’empire ottoman, les accords de Sykes-Picot, le rôle politique et économique du pétrole, et les enjeux reliés à l’eau.
Dans le second, « Politique », ils critiquent les thèses condamnant la démocratie à l’échec dans les sociétés du Moyen-Orient, ou considérant le Liban comme parfait modèle de coexistence, ou encore affirmant que l’islamisme politique violent est le vrai visage de l’islam, menaçant par conséquent les chrétiens d’Orient.
Enfin dans le troisième, « Géopolitique », les auteurs reviennent sur le conflit israélo-palestinien, ses fondements et caractéristiques et ce qui reste aujourd’hui d’une possible solution à deux états. Ils reviennent aussi sur les luttes impliquant sunnites et chiites et sur les perceptions erronées de leurs « discordes », sur le terrorisme, le « jeu de l’Occident » et ses responsabilités, et puis sur les arguments qui évoquent la nécessité de reconfigurer les frontières au sein de la région.


 Comprendre les complexités

Blanc et Chagnollaud montrent que parmi les idées qu’ils revisitent dans leur ouvrage, la plupart appellent plus à des équilibrages qu’à des déconstructions totales.

Ainsi, admettre par exemple que l’empire ottoman a permis une coexistence entre ethnies et communautés est légitime. Néanmoins, il conviendrait de compléter en expliquant comment il s’est effondré dans un déchainement de violence à la veille de la première guerre mondiale et des accords entre Britanniques et Français (tel Sykes-Picot). Ceci serait le balancement permettant de montrer les nuances face à des jugements simplistes ou tranchés. La même approche s’applique au Liban dont le système politique déficient a régulièrement fragilisé les dynamiques sociales, facilité les ingérences externes et affecté le modèle du « vivre ensemble » souvent trop loué par les commentateurs.

S’agissant des questions sociétales, touchant aux droits des femmes, à l’islam, ou aux clivages sunnites-chiites présentés par des médias (et certains de leurs experts) comme définitifs, les deux auteurs les abordent en rappelant les contextes historiques et leurs développements. Ils rejettent le culturalisme ou le déterminisme culturel qui fige les sociétés et ignore les bouleversements politiques et économiques, et qui pense les identités primordiales comme essences capables en soi d’expliquer à tout moment les affrontements, les lignes de divisions et d’alliances.

Quant au conflit israélo palestinien, Blanc et Chagnollaud énumèrent plusieurs de ses dimensions, arguant que seule la solution à deux états reste possible (si Israël met fin à l’occupation et à la colonisation), celle à un état binational et démocratique étant rejetée par la totalité des acteurs israéliens.

A travers les trois axes et leurs chapitres, cet ouvrage atteste de la multiplicité des facteurs politiques, sociaux et économiques qui impactent le Moyen-Orient et rappelle les processus historiques saccadés ainsi que leurs implications actuelles. Cet ensemble ne peut en aucun cas être ignoré, occulté ou même minoré lorsque le sujet est adressé. Les idées simples et les raccourcis peuvent être dangereux, et la formule d’Albert Camus que les auteurs citent « mal nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde » prend encore plus d’acuité dans cette région, qui semble à la fois si lointaine et si proche de la France et du reste de l’Occident.

Ziad Majed