jeudi 4 janvier 2018

Le Loup et le Musulman

« Dans l’imaginaire occidental, le loup est le représentant par excellence de l’autre naturel, sauvage et menaçant. Au cours de l’histoire, notre incapacité à dominer les loups leur a conféré une dimension mythique qui s’est frayé un chemin dans la culture populaire, et lentement mais sûrement, a éclipsé la description plus objective qu’en faisaient les naturalistes ».

C’est à partir de ce postulat que l’anthropologue libano-australien Ghassan Hage établit dans son essai[1] plus d’une analogie entre la figure du « Loup » et celle « fantasmée » et mondialisée du « musulman » aujourd’hui. En présentant le racisme comme « pensée et pratique visant à problématiser, exclure, marginaliser, discriminer, précariser, exploiter, criminaliser, terroriser, nourrir des fantasmes d’extermination contre un groupe de personnes identifiées, que l’on imagine partager un trait déterminant commun et hérité », il considère que les pratiques et opinions antimusulmanes se sont avérées la forme dominante du racisme des deux dernières décennies.

Racisme, écologie et spécisme

Pour Hage, ce racisme est étroitement lié à la crise écologique contemporaine. Il renforce et reproduit la domination des structures sociales de base qui l’ont engendrée, et qui sont celles mêmes de sa propre production. De plus, ce racisme s’articule dans un rapprochement entre la description de déchets plastiques flottants (non recyclables) et celle des demandeurs d’asiles sur les mêmes océans (vers l’Australie) ou sur la mer méditerranée (vers l’Europe). C’est donc par le biais d’un imaginaire du réfugié/musulman comme «déchet ingouvernable» que «l’islamophobie établit un lien clair avec la crise écologique actuelle»

En outre le racisme est également lié au spécisme. Non seulement car la domination est leur trait commun le plus saillant, mais aussi du fait que leurs métaphores allient catégories racialisées et animaux (noirs et singes, juifs et serpents, musulmans et cafards puis loups).

Ce qui importe selon Hage face à ce racisme n’est pas de pointer sa déficience et ses erreurs empiriques, mais d’étudier ce qu’il révèle de la réalité de ses acteurs principaux et leur comportement.


L’islamophobie et le devenir-loup

Pour entreprendre cette étude, l’anthropologue organise son essai autour de trois chapitres/thèmes. Dans le premier, intitulé « l’Islamophobie et le devenir-Loup de l’Autre Musulman », il rappelle que le musulman/arabe était pour le colonisateur européen ce que le porc est pour les juifs et les musulmans : polluant et inexploitable. Il était donc à l’origine « cafard » car moins dangereux que le « serpent juif ». Sauf que depuis des années il a évolué pour devenir incontrôlable, non intégrable, effrayant, « comme le loup ».
Dans le deuxième chapitre, « l’islamophobie et la dynamique de surexploitation écologique et coloniale », Hage démontre pourquoi des racistes (en occident) qui ont accumulé des richesses et surexploité les ressources de la planète ont peur du « loup ». C’est parce qu’ils craignent ce qu’ils appellent « l’inversion coloniale », selon laquelle l’étranger, l’ancien dominé, le musulman, puisse les envahir. Il est partout mais, comme le loup, il leur échappe. Il les met face à leurs vulnérabilités et aux limites de leur « pouvoir souverain ».
Dans le troisième chapitre, Hage explore la « domestication généralisée » et l’inscrit dans le cadre du fantasme patriarcal confortable de contrôle, d’extraction et d’exploitation. C’est ici que s’articule l’alliance entre le dominant qui s’approprie la « nature » pour se sentir chez lui partout, et celui qui racialise, domine et contrôle « l’autre musulman » afin de se sentir chez lui dans sa nation.

Mutualisme et pluralisme comme alternatifs

Que faire alors pour affronter cette crise humaine et écologique mondiale qui réduit les potentiels d’évolution de la biosphère et qui assaille surtout l’étranger (incarné par le musulman), le dominé et les femmes ?

Ghassan Hage propose un mutualisme, une défense du pluralisme, et un agencement de relations bénéfiques entre des différentes formes de vie. Une tache nécessitant des alliances entre antiracistes, écologistes et féministes pour enfin « produire une augmentation de la puissance partagée, au détriment des relations qui produisent de l’impuissance partagée »…

Ziad Majed
Article paru dans l'Orient Littéraire, Janvier 2018


[1] Ghassan Hage, Le loup et le musulman, traduit de l’anglais (titre original : Le racisme est-il une menace écologique ?) par Lucie Blanchard, Postface de Baptiste Morizot, Editions Wildproject, France 2017, 144 p.