C’est ainsi que Moscou a investi le Moyen-Orient en ce début d’année 2012,
à la veille d’un possible retour de Poutine à un pouvoir précédemment confié à
son « dauphin » Medvedev : un droit de veto éclaboussé du sang de
Homs au moment de la commémoration des massacres de Hama que le père Assad
avait commis en février 1982, faisant plus de 20.000 morts. Mais cette position
a une portée et des objectifs davantage liés à une concurrence avec les
Etats-Unis dans la région et dans le monde que la simple entrave à une
résolution qui condamnerait le clan Assad et pousserait en faveur de son départ
du pouvoir.
Les compromis internationaux avec la Russie ne se font pas sur cette
région. En Réalité, Moscou cherche à acquérir une forme de prestige vis-à-vis
de l’occident en général en vue d’entamer après mars prochain -date de
l'élection présidentielle- des négociations concernant entre autres le bouclier
antimissiles, les dossiers ukrainien et Géorgien ou l’adhésion de certains pays
avoisinants à l’OTAN. Toutes ces questions sont probablement plus sensibles aux
yeux de Moscou que les futurs contrats d’armement avec Damas (qui n’étaient pas
avant ce veto nécessairement compromis par un nouveau pouvoir en Syrie).
Bloquer Washington ou les Nations Unies ?
Ce qui semble préoccupant aujourd’hui, ce sont les répercussions que
produit le veto russe sur les relations internationales. Au lieu de remplir son
rôle de contrepoids à l’hégémonie des Etats-Unis (mission théoriquement
pertinente s’agissant de restaurer des équilibres internationaux), il s’est
transformé en mécanisme de blocage du rôle des Nations Unies (et non de
Washington) dans la gestion des situations de violations de droits de l’homme
et de persécutions de masse dans différents pays. Il entrave également une
organisation régionale (la ligue arabe) qui a sollicité l’aide des Nations
Unies pour mettre en œuvre son plan de sortie de crise. Cela fragilise
davantage ces deux institutions internationale et régionale qui se retrouvent
encore une fois démunies et impuissantes face à des tragédies, comme celle qui
se déroule aujourd’hui en Syrie.
Cette situation, célébrée par des « conspirationnistes » comme
une victoire sur l’Amérique, affecte considérablement l’idée de l’importance
d’un monde multipolaire post-guerre froide. Plus que cela, l’Amérique acquiert
une popularité dans plusieurs milieux arabes puisque la première confrontation
russe a eu pour objet la défense implicite de l’un des pires régimes que le
monde arabe ait connu. Ce qui au final ne confère à la confrontation aucun
poids véritablement politique et législatif dans la mise en place de cette
multipolarité.
De plus, le veto russe (qui a entrainé le veto chinois) n’octroiera pas
nécessairement à Moscou la possibilité de négocier sur les dossiers qui le
concernent directement. En outre, ce veto n’aura fait sur le plan syrien que
reporter une chute inéluctable du régime et malheureusement augmenter le nombre
de victimes.
L’utilisation du droit de veto comme instrument unilatéral au pouvoir de
blocage illimité s’est perverti philosophiquement et éthiquement. Il intervient
non pas pour éviter des situations tragiques mais plus pour marchander et
négocier des intérêts internes à partir de ces situations.
L’ironie du sort veut que soit exercé ce droit dans/sur le monde arabe,
dont les peuples se soulèvent depuis un an contre l’injustice et refusent
d’être pris en otage dans ce bras de fer que se livrent les plus grandes
puissances militaires et économiques de la planète.
Les Syriens et leurs nouveaux défis
Aujourd’hui, les Syriens
savent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Assad est engagé dans une
course contre la montre suite à la visite de Lavrov à Damas. Il a compris que
la Russie ne pourrait pas le couvrir éternellement et c’est la raison pour
laquelle cette visite a été accompagnée d’une offensive d’une violence sans
précédent sur Homs faisant en 72 heures plus de 300 victimes. Zabadani dans la
région de Damas a également subi des bombardements faisant des dizaines de
victimes.
Ce
vendredi, les syriens et syriennes sont descendus dans la rue pour une nouvelle
journée de mobilisation intitulée «La Russie tue nous enfants » (Affiche
en Arabe et en Russe). Leur détermination ne semble être affectée ni par le
véto ni par les crimes qu’il couvre. Si la semaine dernière un record a été
battu concernant le nombre de manifestations par jour, celui d’aujourd’hui a
également des chances d’être tout aussi important.