La république islamique d’Iran, qui a tiré profit de la montée des prix du
pétrole entre 2002 et 2008 et qui s’active à développer son armement et à
construire un programme nucléaire, a gagné en puissance d’un point de vue
stratégique depuis la chute des régimes des Talibans en Afghanistan fin 2001
sur ses frontières est et le Baath irakien de Saddam Hussein en 2003 sur ses
frontières ouest. Elle s’est libérée du fardeau qui était de traiter avec deux
régimes qui lui étaient hostiles.
D’emblée elle a exploité l’existence d’alliés dans les deux pays (en
particulier en Irak) afin de s’aménager une présence directe sur les nouveaux
« terrains » occupés par les américains. Elle y a joué un rôle dans
l’aggravation des troubles politiques et sécuritaires en soutenant notamment
des groupes qui combattaient les troupes américaines et qui, surtout,
s’affrontaient entre eux. L’objectif étant de renforcer sa position de
négociation ou de confrontation avec Washington et se placer en partenaire
incontournable dans toute gestion de la phase de transition post-retrait de
Bagdad et de Kaboul.
D’autres facteurs ont permis à l’Iran de devenir un acteur régional
essentiel, le plus notable étant son engagement dans le conflit
israélo-palestinien en tant que grand soutien aux mouvements Hamas et Jihad
islamique. A cela s’ajoute sa relation organique (idéologique, financière et
militaire) de longue date avec le Hezbollah libanais. La guerre entre ce
dernier et Israël en 2006 n’a fait que confirmer ce fait et renforcer davantage
l’Iran politiquement et militairement sur la frontière même de l’Etat hébreu.
Par ailleurs, l’alliance entre Téhéran et Damas (en place depuis 1980) a
non seulement facilité la connexion avec le Hezbollah, mais a également procuré
à l’Iran une profondeur stratégique et un accès à la Méditerranée.
Ainsi déployé, Téhéran a acquis une capacité à endiguer ses
adversaires et les ennemis de son programme nucléaire de façon à
les menacer à travers ses alliés, s’ils envisageaient une quelconque
offensive contre ses sites. Des menaces qui vont de simples déclarations à
l’activation de foyers de tensions et d’affrontements sur divers fronts pour
brouiller les cartes.
L’escalade des tensions
Il ne fait aucun doute, par ailleurs, que cette montée en
puissance de l’Iran a suscité des craintes, non seulement chez ses ennemis
(Etats-Unis et Israël), mais également chez ses voisins arabes. Cela est lié à
la faiblesse politique et militaire de ces derniers (de l’Arabie saoudite à
Bahreïn) d’un côté, et à la question sunnite-chiite qui joue un rôle
dans l’exacerbation des tensions arabes avec l'Iran, de l’autre. Et
même si Téhéran cherche à faire oublier cet aspect de son idéologie
étatique et révolutionnaire chiite (les chiites ne représentent qu’une minorité
dans le monde arabe et musulman – environ 15%) en mettant
notamment l'accent sur son soutien à la lutte des Palestiniens contre
l’occupation israélienne, il ne parvient pas à échapper à l’anti-chiisme
montant dans toute la région.
A l’origine de cela, le conservatisme de certaines tendances sunnites
(telles que le wahhabisme, historiquement anti-chiite) et le conflit
ouvert en Irak après la chute de Saddam Hussein en 2003 qui a
renforcé le poids politique des alliés chiites de l’Iran. En 2008, le
conflit sur la scène libanaise entre le Hezbollah allié de Téhéran
et le Mouvement du Futur de Hariri allié de Riyad a matérialisé
davantage cette friction sunnite-chiite.
Par conséquent, plus d’un officiel et observateur arabes ont évoqué
ces dernières années le «danger» de l’ambition iranienne à former un croissant
(qualifié de « chiite ») qui s’étendrait de Téhéran jusqu’à Damas et
Beyrouth en passant par Bagdad. Téhéran y gagnerait un poids
géostratégique et économique important et mettrait plusieurs Etats sous
pression directe.
En 2009, l’Iran a été accusé d’avoir rajouté à son actif un autre foyer
qu'est le Yémen, en bénéficiant de la fragilité de l’Etat et des conflits
tribaux en son sein pour soutenir ce que l’on connaît sous le nom des Hawthis.
Ces derniers ont affronté l’armée yéménite dans le nord du pays, et ont
combattu également les troupes saoudiennes dans une zone non loin des champs
pétroliers et du détroit stratégique de Bab el-Mandeb entre la corne de
l’Afrique et l’Asie.
Paradoxalement, cette progression menaçante de l'Iran pour
plusieurs régimes de la région est devenue elle-même une limite
à son expansion. Cela a mis un terme à de nombreuses tentatives
d'États à maintenir un lien, même distant, avec Téhéran. Elle a de plus répandu le sentiment
d’une «velléité d'hégémonie persane chiite sur les
terres des Arabes sunnites» (un sentiment qui court même dans des
régions éloignées du Golfe, de l'Egypte au Maroc, et qui est renforcé
par des campagnes médiatiques et politiques actives).
Puis vint le printemps arabe, au cours duquel le
soulèvement de l’opposition majoritairement chiite à Bahreïn en
février 2011 a directement été attribué à Téhéran, accusé par
Manama de vouloir renverser le régime et prendre le contrôle de
l'île. La riposte ne s’est pas fait attendre puisque Manama a fait appel
au « bouclier de la péninsule » (force armée dirigée par
l’Arabie saoudite) pour soutenir ses forces, réprimer les opposants et
interdire leurs sit-in, pourtant pacifiques (voir notre article sur Bahreïn).
Sur un autre front, le soutien politique au régime de Damas contre la
révolution du peuple syrien et le rôle actif de l’Iran depuis mars 2011
(fourniture d’équipement militaire, de matériel d’espionnage informatique et
d’aide financière) dans la poursuite de la répression barbare, ont renforcé le
sentiment anti-iranien dans plusieurs milieux arabes.
Aujourd’hui, les menaces de Téhéran de fermer le détroit
d'Ormuz, ne font que compliquer encore plus la donne. L'Arabie
saoudite y voit une menace économique directe, et craint une tension dans
ses provinces est où vivent les saoudiens chiites marginalisés politiquement et
socialement depuis des décennies. Elle envisage d’augmenter sa production
pétrolière si les marchés venaient à être affectés par la menace iranienne,
tout en pariant sur la capacité de dissuasion de Washington sur Téhéran...
On peut par conséquent classifier la perception de la majorité des
gouvernements arabes et de plusieurs forces politiques (nationalistes et
islamistes sunnites) vis-à-vis de la politique de l’Iran comme
suit :
- Elle constitue une source de tensions sectaires.
- Elle réactive la question du nationalisme (arabe, persan) qui
se chevauche souvent avec la précédente. Ce n’est pas un hasard si les Iraniens
sont qualifiés aujourd’hui par certains gouvernements et mouvements politiques
arabes de « safawites » (la dynastie qui a conduit les Iraniens du
sunnisme au chiisme en 1501 après JC). L’empire safawite fut le dernier empire
perse à s’étendre sur des terres arabes (l’Irak et Bahreïn en
particulier).
- Elle incarne également la peur puisque les Arabes du Golfe se
trouvent souvent en situation de demander de l’aide et du soutien, en
particulier de l'Occident.
L’Iran, quant à lui, attribue l’hostilité et la méfiance de cette majorité
de gouvernements (surtout du golfe) à son égard à un ralliement pur et simple
de ces derniers à la position des Etats-Unis. En tant que « relais de la
politique impérialiste » dans le Moyen-Orient, leur parti pris contre
l’Iran est, selon Téhéran, forcément similaire à celui de Washington.
Sanctions et pressions
occidentales contre Téhéran
Bien que le régime iranien soit parvenu à absorber sa
crise interne après juin 2009, suite aux élections présidentielles
contestées, étouffer les mouvements de protestation contre les
résultats et maîtriser (temporairement) les fissures à
l’intérieur de « l’establishment » au pouvoir, il
a cependant à cause de cela privé ses défenseurs occidentaux d’une
partie de leur capacité à instaurer un dialogue avec lui face
aux partisans de l'escalade, convaincus de l’impossibilité
de parvenir à des résultats par la diplomatie.
La pression sur la république islamique est à la hausse depuis 2010, si
l’on examine ses acteurs de toutes parts. Le début de l'escalade des
sanctions internationales était à l'initiative des États-Unis et
de l’Union européenne, suite à l'échec de la tentative turque
et brésilienne pour trouver une solution internationalement
acceptable sur la question de l'enrichissement de l’uranium. Puis il y a
eu une pression américaine sur les Emirats arabes unis pour
contrôler le mouvement important de contrebande entre Dubaï et
les ports iraniens. Des officiels américains se sont ensuite rendus
en Indonésie et Malaisie les exhortant à respecter les sanctions (tous les
deux étant d’importants partenaires économiques de Téhéran qui n’avaient pas
auparavant entériné les mesures américaines).
Les effets économiques de ces sanctions se font ressentir. Les prix de
plusieurs denrées en Iran augmentent, les transactions financières deviennent
extrêmement difficiles, des entreprises ferment et peu de sociétés signent de
nouveaux contrats pétroliers. Cela pourrait sur la durée considérablement
affaiblir la poussée politique iranienne, qui a déjà atteint ses
limites et n'est plus en mesure de faire main basse sur d’autres
enjeux à son profit.
Par conséquent, les
perspectives d'affrontement Iran-Etats-Unis dans le Golfe
reposent sur la modulation des sanctions pour modifier
les positions de Téhéran, sachant que les menaces iraniennes contre
les troupes américaines en Iraq n’opèrent plus suite au retrait de ces troupes
en décembre 2011.
La pression israélienne vers une guerre est, par ailleurs, constante (même
si parfois hésitante) sous prétexte du risque nucléaire d’une part et la
relation établie entre la frappe de l’Iran et l’isolement du Hezbollah et Hamas
d’autre part. Des cyber-attaques contre l’agence nucléaire iranienne et des
assassinats de scientifiques iraniens ont déjà eu lieu en 2011. Téhéran accuse
le Mossad et la CIA de les avoir orchestrés.
Il est toutefois clair aujourd’hui que rien n’est décidé. L'administration
Obama ne semble pas – comme il se dit dans les rapports
et la presse américaine – enthousiaste pour une guerre. La crise
économique et l’échéance électorale de novembre prochain ne sont pas des
éléments encourageants non plus. Le risque d'une confrontation
totale dans la région nécessite la prise en compte de considérations
complexes avec des conséquences loin d’être évidentes.
Cette politique régionale de l’Iran incite à l’interrogation sur les
motivations réelles de son régime. L’idéologie joue un rôle certain, surtout
depuis la venue de Ahmadinejad au pouvoir et la montée du rôle des gardes
révolutionnaires. Une idéologie religieuse qui mise sur l’exportation du
concept révolutionnaire iranien et sur la fidélité des chiites au « Waliyy
Al-faqih » (Khameni, successeur de Khomeini) en tant que jurisprudent et
leader suprême de la révolution.
Les ambitions géostratégiques existent également. S’imposer en force dans
une région tumultueuse requiert de la puissance et les Iraniens estiment depuis
une décennie que le moment est opportun. A cela s’ajoute, la fierté nationale,
considérant le nucléaire comme un domaine où les Iraniens ont toute leur place
(comme Israël, l’Inde et le Pakistan). A cet effet, il leur faut des
« cartes » à jouer et des alliés pour protéger leur programme et ses
sites, d’autant qu’il est une source d’inquiétude non seulement pour Israël
(et les Etats-Unis), mais aussi pour l'Arabie saoudite, l'Egypte et
probablement la Turquie (autre acteur non arabe très actif et présent dans la
région).
Si l’Iran semble jusqu’à présent hermétique aux menaces et pressions, c’est
aussi qu’il tient probablement le pari qu’aucune puissance occidentale ne
pourrait prendre le risque de s’enliser de nouveau dans une poudrière
moyen-orientale prête à s’embraser.
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La
chaîne panarabe de capital saoudien et basée à Dubaï, Al-Arabiyya, a commencé il
y a trois and à diffuser en persan sur le net. Ainsi, un site en langue persane
est consacré aux informations reliées à l’Iran et à la région: www.alarabiya.net/fa_default.html.
De son
côté, l’Iran a mis en place dès 2003 un bouquet de chaînes satellitaires. L’une
d’elle, Al-Alam, diffuse l’info en continu en Arabe: www.alalam.ir (live
sur le net : www.alalam.ir/live)
Cela
montre de part et d’autre l’importance accordée par l’Arabie et par l’Iran, de
s’adresser directement aux peuples pour leurs présenter une couverture
médiatique des événements qui obéisse à certains critères et approches propres
à chacun.