dimanche 4 septembre 2011

La révolution syrienne: la liberté sinon rien


Au vu des ressemblances entre le régime libyen et le régime syrien, la chute de Kadhafi après 42 années de dictature a renforcé la motivation des révolutionnaires syriens. Ces derniers continuent, pacifiquement, à confronter un régime de plus en plus sanguinaire. Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr


Tout au long du mois de Ramadan et de la fête de l’Aïd, la guerre des volontés en Syrie s’est poursuivie obstinément.  Contre la machine de mort du régime qui a fait en 30 jours plus de 400 morts et de 5000 détenus (dont plusieurs ont succombé sous la torture – voir le rapport de Amnesty),  la contestation populaire a continué à mener des petites et moyennes manifestations quotidiennes, de jour comme de nuit, dans plus de 200 localités à travers le pays.

Les calculs du régime et sa nouvelle stratégie de terreur

Le régime adopte depuis des semaines une stratégie d’isolement et de siège militaire permanent des grandes villes. A cela s’ajoutent des incursions sécuritaires de 24h dans les moyennes et petites villes et une présence lourde dans toutes les banlieues de Damas.
Ainsi, les chars de l’armée occupent les places publiques de Homs, Hama et Deir-Ezzour, théâtre des plus grandes manifestations de la révolution syrienne. Les trois villes ont été divisées par des check-points en différents secteurs afin de rendre impossible tout rassemblement central et toute communication entre les secteurs.
Sur le littoral méditerranéen, les quartiers de Jabla ont été bombardés. La marine syrienne y a même participé. Probablement en action pour la première fois de son histoire, elle a bombardé le camp de réfugiés palestiniens de Raml faisant 23 morts et forçant des milliers de personnes à fuir la région. Les palestiniens étaient accusés par le régime d’avoir participé aux manifestations de Lattaquié, principale ville côtière bombardée à son tour.

Ailleurs dans le pays, assassinats et campagnes d’arrestations sont pratiqués quotidiennement. Damas et Alep sont parsemées de barricades. Des troupes militaires et des Chabbihas (les voyous armés du régime) sont déployés autour des mosquées mais aussi sur les voies principales pour empêcher les manifestations de quartiers de déboucher sur les grandes places.

Le régime Assad tente de réduire le mouvement à des manifestations dispersées dans le pays, notamment dans ses zones rurales pour faire croire qu’il contrôle bien la situation et que le calme a été rétabli dans les villes et autour de Damas. Il envisage suite à cela mettre en scène une conférence politique médiatisée  annonçant des « réformes ». Il espère ainsi échapper aux pressions internationales grandissantes et à l’isolement diplomatique. Ayant la Russie et la Chine comme soutien, il croit pouvoir esquiver les sanctions économiques visant en particulier son pétrole. Il s’imagine même que sur le plan géostratégique, des « deals » lui seront proposés plus tard par l’occident (par crainte de la déstabilisation régionale) pour rétablir sa légitimité perdue. Cela a été notamment le cas durant la période Assad père puis la période 2004-2007 (durant la crise libanaise).

Les oppositions : persévérance, refus de la violence et espoir

Malgré la fatigue et les sacrifices de six mois de contestation à mains nues contre un régime qui a déployé son artillerie lourde, les manifestants ne se découragent pas pour autant. N’ayant plus accès aux grandes places publiques urbaines, ils ont dû modifier leur tactique : des manifestations-surprises, petites et courtes dans la durée dans la majorité des villes, y compris Damas, avec ses proches et lointaines banlieues. Cette tactique s’est avérée payante puisque l’effet de dispersion a compliqué la tâche des forces sécuritaires sans leur permettre de mettre fin aux manifestations quotidiennes durant le mois de Ramadan et des journées de l’Aïd.
Deux importants développements durant cette période sont à signaler puisqu’ils font aujourd’hui l’objet d’un débat au sein des opposants :

A- Le refus de toute militarisation de la révolution 
Certains messages ont circulé dans les médias et sur les réseaux sociaux appelant au recours aux armes pour ne plus permettre « aux bandes du pouvoir de nous tuer comme des mouches » et appelant les soldats déserteurs à défendre les manifestants. A ces messages, des intellectuels syriens dissidents de même que les comités et unions de coordination sur le terrain ont riposté en rejetant fermement toute allusion à la militarisation et insisté sur l’aspect pacifique de la révolution et sa suprématie politique et morale : « La militarisation mènera la révolution sur un terrain où le régime dispose d’un important avantage. Elle ne fera que porter atteinte à la supériorité morale qui a caractérisé la révolution depuis son premier jour » (déclaration des comités de coordination sur le sujet – en anglais).

B- Un conseil national
Le second révèle une certaine difficulté quant à l’organisation politique de la révolution. Depuis les arrestations des leaders de la « Déclaration de Damas pour le changement démocratique » (qui a rassemblé lors de sa fondation en 2005 des partis politiques de gauche, des mouvements issus du nationalisme arabe, des personnalités politiques indépendantes, des chefs tribaux, des formations kurdes et des islamistes modérés), les oppositions syriennes ne sont pas parvenues à matérialiser un corps de coordination et une plateforme politique commune.  

Par ailleurs et avec la révolution, les comités locaux de coordination et les unions de coordination ont vu le jour et ont joué un rôle majeur dans l’organisation des manifestations et le choix des slogans politiques. Ils ont aussi publié des communiqués et rédigé différents documents politiques concernant leur vision de la Syrie d’après Assad.

Toutefois, entre les acteurs de la déclaration de Damas, les personnalités et intellectuels influents sur l’opinion publique vivant à l’intérieur comme en exil et les comités et unions travaillant sur le terrain, un lien manque manifestement. Six mois après le début de la révolution, beaucoup évoquent la nécessité de créer un conseil national, réunissant tous les acteurs cités. Différentes  initiatives ont eu lieu dans ce sens, sans grand succès jusqu’à présent.

La semaine dernière, une nouvelle initiative rassemblant les noms de 94 personnalités de l’intérieur et de l’extérieur a été annoncée à Ankara par un groupe d’activistes syriens. Bien que les noms représentent la majorité des tendances de l’opposition, cette initiative a suscité une polémique sur le fait que le conseil ait été constitué sans consultations et en l’absence d’élections de ses comités. Ce qui a conduit une grande partie des personnes concernées (surtout de l’intérieur) à s’abstenir d’y participer. D’autres personnalités ont accepté cette mission, considérant à la fois l’urgence de la situation et la nécessité absolue de formaliser une dynamique politique crédible représentant tous les acteurs principaux de la révolution et leurs soutiens à l’extérieur du pays.
Des pourparlers sont toujours en cours pour tenter de trouver un consensus concernant cette démarche, ou d'autres alternatives.

Une nouvelle phase : les bases du régime tremblent   

Selon de nombreux activistes et intellectuels syriens, des secteurs de la bourgeoisie syrienne (jusque-là grand soutien du régime) seraient en train de revoir leur position, notamment à Damas. Ils affirment également que certains hésitants auraient basculé du côté de la révolution, vu la violence des forces du régime et les atrocités qu’elles commettent.

Par ailleurs, il semblerait que le régime ait de plus en plus de difficultés à financer sa gigantesque machine de répression et ses milliers de chabbihas.  A cela s’ajoutent le coup moral et psychologique que le régime a accusé après la chute de son allié et semblable libyen, le poids des sanctions économiques (surtout dans le secteur pétrolier) de même que l’isolement diplomatique de plus en plus suivi.

La révolution face au régime

Un des signes flagrant de l’extrême exaspération et nervosité du pouvoir a été l’agression récente et symbolique du caricaturiste Ali Farzat. A travers ses dessins, ce dernier incarne le symbole de la lutte pacifique pour la liberté. En lui broyant les doigts, le régime a fait non pas une démonstration de force puisque le rapport est clairement inégalitaire, mais il a donné la preuve qu’une plume pouvait être une arme d’une puissance redoutable. Par cet acte, il a signé son engagement définitif dans la voie de la déchéance. 

Site de Ferzat: ali-ferzat.com