Le printemps arabe sème le
trouble auprès des dirigeants politiques dans toute la région et réveille les
consciences. Quelles répercussions
a-t-il eu en Algérie ? Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr
1988 : une révolution avant les révolutions ?
Tout d’abord il faut se souvenir
que l’Algérie a souvent été un lieu propice aux mobilisations bien avant
ce printemps arabe. En 1980, un premier mouvement de contestation a eu lieu
dans la région de la Kabylie. Cet évènement appelé « le printemps berbère » dont les
revendications étaient surtout d’ordre identitaire a été réprimé dans le sang.
En 1984, à la veille de la promulgation du nouveau code de la famille, les
organisations de femmes, avec à leur tête des figures féminines de la lutte
pour l’indépendance, se sont massivement
mobilisées pour protester contre son caractère rétrograde inspiré de la
doctrine religieuse. Et puis il y a eu la révolte populaire d’octobre 1988,
conséquence d’une crise économique due (entre autre) à la chute du prix du
baril de pétrole et au ras le bol d’une jeunesse urbaine désœuvrée.
Même si cette révolte a été sévèrement réprimée par le pouvoir avec
près de 500 morts selon les sources médicales, des arrestations arbitraires et
la torture, elle a donné lieu à un remaniement du paysage politique et sociétal
du pays. L’avènement du multipartisme qui en a découlé à partir de 1989 a
permis aux organisations politiques activant auparavant dans la clandestinité
et à de nouvelles formations d’obtenir un agrément. Le monde associatif a connu
un développement fulgurant (femmes,
comité de dénonciation de la torture, ligue des droits de l’homme, environnement,
etc…). Cette ouverture a permis également à une presse écrite, relativement
libre et diversifiée, de voir le jour (même si par la suite, de nombreux
journalistes ont été victimes de harcèlement et d’intimidation).
Ce climat de liberté a très peu duré. La grande victoire du Front
Islamique du Salut (FIS) au premier tour des élections législatives en décembre
1991 a été un tournant marquant dans l’histoire du pays. Ce résultat sans
appel a été un choc pour le pouvoir dont
les calculs comptant sur la loyauté de la famille révolutionnaire et les voix
« laïques » se sont avérés faux. Une grande partie de l’opinion
publique (s’exprimant surtout à travers le monde activiste naissant) s’est
alors scindée entre ceux qui appelaient à l’arrêt du processus électoral pour
faire barrage aux islamistes (les éradicateurs) et
ceux qui réclamaient à tout prix la poursuite du processus de démocratisation
(les réconciliateurs). En janvier 1992, l’armée pousse le président Chadli à la
démission et annonce l’annulation du processus électoral avec comme
argument « le sauvetage de la république ». Se sentant dépossédés
d’une victoire légitime (alors même qu’ils affichaient leur hostilité au
principe de la démocratie comme modèle politique), les islamistes se sont
insurgés contre ce qu’ils ont dénoncé comme étant un push et ont pris les
armes. L’Etat d’urgence est décrété le 9 février 1992, et l’Algérie sombre dans
une guerre tragique qui a fait plus de cent mille morts.
Aujourd’hui, nombreux sont les algériens qui considèrent que la
révolution a bel et bien eu lieu en octobre 88 et qu’ils en ont payé le prix. C’est
néanmoins la transition démocratique qui a été dramatique selon eux. Ils ne
sont pas prêts à consentir à d’autres sacrifices, le traumatisme de la guerre
civile demeurant encore une plaie ouverte. De plus, les 19 années sous état
d’urgence ont appauvri la vitalité de la société, car seules la
« stabilité » du pays et la sécurité (lutte anti-terroriste) étaient
la priorité. La plupart des formations politiques ont été vidées de leur
substance. Certaines ont été décapitées (assassinats des élites intellectuelles
et politiques ou exil à l’étranger), d’autres ont été cooptées par le pouvoir.
La presse écrite a vu sa marge de manœuvre sensiblement réduite malgré sa
résistance, et le mouvement associatif et syndical a été affaibli.
Le printemps arabe et ses répercussions
L’avènement du « printemps arabe » a été un évènement captivant pour
la société algérienne sans pour autant l’inciter à se mobiliser massivement et à sortir de sa léthargie et sa peur.
Dans la foulée de l’actualité tunisienne, des actes de désespoir ont
été commis par quelques citoyens algériens. Ils ont tenté de s’immoler par le
feu pour se faire entendre. Très peu de temps auparavant, des émeutes avaient
eu lieu dans la capitale pour protester contre la flambée des prix de certains
produits de base. Puis a été créée le 22 janvier 2011 la « Coordination
Nationale pour le Changement et la Démocratie » (CNCD). Une coordination
qui comptait comme seule formation politique le Rassemblement pour la Culture
et la Démocratie » (RCD) et de nombreuses organisations de la société
civile comme la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme (LADDH) et certaines
organisations de femmes. Quelques
rassemblements ont été organisés malgré l’interdiction en vigueur, et ont
rapidement été dispersées à coups d’arrestations et de molestation des
manifestants par un dispositif démesuré des forces de l’ordre. La CNCD n’a pas
obtenu l’adhésion populaire espérée pour faire « tomber le
système ». Elle a été très vite traversée par des divisions internes entre
d’un côté ceux qui prônaient l’adhésion des partis politiques au mouvement et
ceux (surtout les jeunes) qui, au contraire, craignaient de voir cette
mobilisation de la société civile récupérée par d’anciennes formations
politiques.
Par ailleurs, et c’est ce qui semble le plus prometteur en Algérie,
une organisation sectorielle de plus en plus structurée se met en place. Qu’il
s’agisse des étudiants, des médecins résidents, des enseignants, des gardes
communaux, de certains comités de quartiers, et de dizaines de milliers
d’internautes, de nombreux mouvements sont en train d’éclore soit sous forme
d’associations, soit de syndicats pour porter leur revendications aux autorités
concernées. Loin de la culture de l’émeute, ces mouvements sont à la fois
pacifiques et porteurs d’un « contenu ».
Le pouvoir cherche l’accalmie
Le pouvoir sentant la grogne sociale monter s’est dépêché
d’annoncer une série de mesures destinées à acheter la paix. Pour faire bonne
figure auprès de l’opinion internationale et nationale, il commence par
annoncer la levée de l’Etat d’urgence le 24 février 2011. Ensuite le président
Bouteflika annonce des réformes législatives et d’amendement de la constitution
en vue de « renforcer la démocratie représentative » en Avril 2011.
Parmi ces réformes figurent l’instauration d’un quota de 33 % de
femmes sur les listes électorales aux élections législatives et locales. Le
gouvernement a également approuvé un projet de loi prévoyant une dépénalisation
du délit de presse, principale revendication des journalistes depuis les années
1990 ainsi que l’ouverture du secteur de l’audiovisuel sur la base d'une
"convention qui sera conclue entre la société algérienne de droit privé
concernée et une autorité de régulation de l'audiovisuel, validée par une
autorisation délivrée par les pouvoirs publics". En
revanche, le fait que Bouteflika ait fait part de son intention de réviser le
code de la nationalité - de même que les conditions de candidature aux
élections législatives, locales et présidentielles - n’est pas anodin. Il prive
par ce geste une partie de l’élite algérienne exilée de la possibilité
d’envisager un retour au pays et de
prendre part à la vie politique. L’article 82 de l’avant‑projet de
révision de la loi électorale stipule que les candidats à l’APC (communes), APW
(wilayas) ou APN (parlement), doivent « être de
nationalité algérienne exclusive, d’origine ou acquise depuis vingt ans au
moins ». Sachant que
l’Algérie compte quelques millions d’émigrés à l’étranger dont une élite
compétente et formée, on peut difficilement occulter le potentiel de changement
qu’elle incarne tant sur le plan politique qu’économique que culturel, de même
que la menace qu’elle peut constituer sur un pouvoir sclérosé.
Sur le
plan économique, le projet de loi de finances de l’année 2012 annoncé par le
gouvernement prévoit une dépense de près de 100 milliards de dollars consacrés
aux politiques sociales. Les salaires des fonctionnaires et les retraites ont
été revalorisés et l’obtention de crédits facilitée avec des intérêts fortement
bonifiés par l’Etat.
Toutes
ces promesses et mesures prises pour acheter la paix sociale n’apportent
pourtant pas de réponses claires quant au changement du système politique. Près
de 50 années après l’indépendance, l’Algérie demeure gouvernée par plusieurs
clans formés d’anciens technocrates du parti unique et ses satellites et de
certains officiers hauts gradés de l’armée. Malgré des luttes entre clans au
sein du pouvoir, le vaste réseau clientéliste et de corruption tissé autour de
cette nébuleuse permet au pouvoir de se maintenir et de se perpétuer. De plus,
la manne financière générée par les hydrocarbures, fait de l’Algérie un pays
rentier dont les dirigeants pensent être dispensés de rendre des comptes à une
population « qui n’est pas à l’origine de création de la richesse ».
Or, les peuples qui
se sont soulevés contre leurs dirigeants durant le printemps arabe ont montré
que leurs revendications portaient davantage sur des aspirations politiques
qu’économiques. C’est avant tout un désir d’être reconnus comme citoyens maîtres
de leur destin, libres de leurs choix et dignes dans leurs vies qu’ils ont exprimé.
Pour
l’instant, aucun signe tangible n’indique une volonté réelle du pouvoir de
mettre en place une alternance politique. On peut même s’interroger à la
lumière des évènements récents en Libye si la non reconnaissance officielle du
CNT n’est pas une manière symbolique de signifier un refus du changement. Dans
les quatre républiques nord-africaines, l’Algérie reste aujourd’hui le seul cas
à ne pas avoir connu une révolution menant à la chute de son régime. Son nouvel
entourage politique ne rassure guère ses dirigeants…