Plusieurs observations de ses caractéristiques, ses
dynamiques et ses nouveautés sont à analyser, dont les trois suivantes.
Révolution des
femmes libanaises
Dans la rue, au niveau
des slogans, des revendications, des voix derrière les mégaphones, de la chorégraphie des
corps en mouvement permanent, des débats et de l’occupation de l’espace, les
femmes libanaises se révoltent contre tout un système. Il ne s’agit pas
seulement pour elles de faire trembler un pouvoir politique, mais également une
hiérarchie de valeurs, de domination patriarchale et de sexisme. Arracher le
droit d’octroyer la nationalité au conjoint et aux enfants, imposer des lois de
statut personnel qui échappent aux communautés et institutions religieuses,
combattre les discriminations dans le travail, défendre les libertés publiques
et privées, et rappeler que la justice sociale est un vecteur d’émancipation sont
aujourd’hui les mots d’ordre de milliers de femmes (et d’hommes) dans les
manifestations et sit-in. Des mots d’ordre qui rappellent en effet que «le
féminisme est politique».
Un Centre-Ville libéré
A Beyrouth comme dans
d’autres villes, les places et rondpoints sont les lieux de la contestation et
de l’action citoyenne. Néanmoins, la libération du centre-ville Beyrouthin
s’inscrit dans un registre différent, à la fois politiquement et symboliquement.
Car ce lieu fut celui des épisodes les plus emblématiques de la guerre civile,
puis de la reconstruction qui l’a rendu un espace Deluxe (aseptisé), puis des
mobilisations politico-confessionnelles et de la deuxième indépendance du pays
en 2005. Il fut aussi un lieu d’une série de revendications sectaires ou d’initiatives
citoyennes avortées par le système politique en place. Un autre air pousse dans
le centre-ville depuis trois semaines. Celui des agoras, des débats quotidiens,
des graffitis, des chants, des gens ordinaires, des étudiants et des réfugiés
qui ne sont plus terrorisés par ses policiers et son étalage. Une nouvelle
relation, intime, de réappropriation (même si temporaire) est née entre la
place des martyrs et celle de Riad al-Solh.
Tripoli, ou la
révolte du Liban marginalisé
Au sein de la révolution libanaise, se déroule également une
révolte de grande ampleur. Celle du Liban de la périphérie : du sud et de
la Beqaa, mais surtout de Tripoli. Longtemps marginalisée économiquement et
politiquement, la deuxième ville du pays dont les quartiers populaires sont
parmi les plus démunis, est aujourd’hui au centre du soulèvement. Elle
déconstruit les clichés, les stéréotypes et le culturalisme qui l’ont définie
en tant que «capitale du radicalisme religieux et du conservatisme social».
Sa jeunesse, son rap et sa musique, sa diversité et ses couleurs, sa
mobilisation qui ne baisse guère préservent l’espoir des citoyens et rappellent
chaque soir que «la défaite n’est pas une fatalité».
Un nouveau Liban est-il donc entrain d’émerger? Rien n’est
encore garanti. Mais c’est exactement dans les incertitudes que naissent toutes
les possibilités.
Ziad Majed
Article paru dans le numéro spécial de L'Orient Littéraire