mercredi 9 octobre 2013

Liberté pour Faiek al-Meer

Militant de gauche laïque et membre du Parti démocratique du peuple, Faiek al-Meer a passé 10 ans dans les prisons de Hafez el-Assad lors de la campagne de répression menée contre les opposants à la dictature syrienne. Libéré en 1999, il a de nouveau été arrêté en 2006 par les services de renseignement de Bachar el-Assad et emprisonné pendant 2 ans. En 2010, Faiek est passé à la clandestinité pour éviter une nouvelle arrestation. Lorsque la révolution syrienne éclate en mars 2011, il en est l'un des militants les plus actifs. Il vivait depuis plusieurs mois dans la Ghouta de Damas, et a été arrêté par les forces du régime lundi 7 octobre alors qu'il se rendait à la capitale. Aucune nouvelle sur le lieu et les conditions de sa détention depuis. 
La lettre à sa fille Farah ci-dessous, est un texte qu'il avait publié sur Facebook quelques jours avant son arrestation. 



"Ce soir, ma fille Farah est devenue mère, mon fils, Ali tonton, et ma chère Samar grand-mère. Quant à moi, je suis devenu un "oncle" car hier, nous nous sommes mis d'accord avec Farah et mon très cher gendre Ahmad, pour qu'ils apprennent au petit à m'appeler : "'Ammo", puisque je suis encore jeune ! 
J'ai quitté Farah en 1987, alors qu'elle n'avait que deux mois, pour fuir les services de sécurité du tyran Hafez el-Assad. Ce n'est que cinq années plus tard que je l'ai rencontrée, pour la première fois, à travers les grilles de la salle des visites à la prison de Sidnaya. Ce jour-là, Farah m'a appelé "tonton" parce qu'elle ne connaissait pas son père*. C'est comme si j'avais reçu un coup de poignard en plein coeur lorsque sa mère l'a reprise en lui disant : "Ce n'est pas un "tonton", c'est ton papa", Farah a répondu : "C'est lui mon papa qui est sur la photo à la maison, c'est lui?", et Samar de répondre : "Oui, c'est lui, ton père qui est sur la photo"... 
C'est la même Farah que j'ai prise dans mes bras pour la première fois, douze ans plus tard. Elle avait grandi, sa hauteur approchant la mienne... Nous commencions à peine à nous connaître, à nous familiariser l'un à l'autre, lorsque le fils dictateur (Bachar) m'a arraché à son univers en 2006, et m'a éloigné d'elle durant deux années d'emprisonnement. A cette époque-là, Farah était étudiante à la faculté des lettres et langue anglaise. 
Le jour de ses fiançailles, au mois de février 2010, nous avons appris, juste avant de rentrer dans la salle des fêtes l'arrestation de notre amie Raghda Hassan alors qu'elle se rendait au Liban pour une mission politique qui nous était commune. Pour ne pas gâcher sa joie le jour de ses fiançailles, j'ai pris le risque d'assister à la fête sans que personne ne se doute de quoi que ce soit. Une fois la fête terminée, je suis rentré vite chez moi, rassemblé mes affaires. J'ai embrassé Farah et l'ai félicitée, puis j'ai quitté la maison. Peu de temps après, les bandits du dictateur sont venus chez nous, ont assailli la maison et cassé la porte à coups de fusils. Ce jour-là, il n'y avait que Farah et sa mère... 
Lorsqu'elle s'est mariée et partie en Arabie saoudite (pour travailler), je n'ai pas pu être auprès d'elle et lui dire au-revoir. Aujourd'hui, Farah est devenue mère... et encore une fois, je suis loin d'elle. 
Farah, "mes yeux", Farah, toutes mes félicitations et bon rétablissement ma fille... 
Ton père Faiek ".

* En Syrie, on appelle les adultes "tontons" (et "tata" pour les femmes), même s'ils ne font pas partie de la famille. 

Remerciements à Rawa et à Nadia pour la traduction de ce texte, publié également dans l'Express.