Leur
travail aborde des questions selon trois axes. Dans le premier,
« Histoires, sociétés et ressources », ils répondent à des assertions
sur les droits des femmes dans la région, l’empire ottoman, les accords de Sykes-Picot,
le rôle politique et économique du pétrole, et les enjeux reliés à l’eau.
Dans
le second, « Politique », ils critiquent les thèses condamnant la
démocratie à l’échec dans les sociétés du Moyen-Orient, ou considérant le Liban
comme parfait modèle de coexistence, ou encore affirmant que l’islamisme
politique violent est le vrai visage de l’islam, menaçant par conséquent les
chrétiens d’Orient.
Enfin
dans le troisième, « Géopolitique », les auteurs reviennent sur le
conflit israélo-palestinien, ses fondements et caractéristiques et ce qui reste
aujourd’hui d’une possible solution à deux états. Ils reviennent aussi sur les
luttes impliquant sunnites et chiites et sur les perceptions erronées de leurs « discordes »,
sur le terrorisme, le « jeu de l’Occident » et ses responsabilités,
et puis sur les arguments qui évoquent la nécessité de reconfigurer les
frontières au sein de la région.
Blanc et Chagnollaud montrent que parmi les idées qu’ils
revisitent dans leur ouvrage, la plupart appellent plus à des équilibrages qu’à
des déconstructions totales.
Ainsi,
admettre par exemple que l’empire ottoman a permis une coexistence entre ethnies
et communautés est légitime. Néanmoins, il conviendrait de compléter en
expliquant comment il s’est effondré dans un déchainement de violence à la
veille de la première guerre mondiale et des accords entre Britanniques et
Français (tel Sykes-Picot). Ceci serait le balancement permettant de montrer les nuances face à des jugements
simplistes ou tranchés. La même approche
s’applique au Liban dont le système politique déficient a régulièrement
fragilisé les dynamiques sociales, facilité les ingérences externes et affecté
le modèle du « vivre ensemble » souvent trop loué par les
commentateurs.
S’agissant
des questions sociétales, touchant aux droits des femmes, à l’islam, ou aux
clivages sunnites-chiites présentés par des médias (et certains de leurs
experts) comme définitifs, les deux auteurs les abordent en rappelant les
contextes historiques et leurs développements. Ils rejettent le culturalisme ou
le déterminisme culturel qui fige les sociétés et ignore les bouleversements
politiques et économiques, et qui pense les identités primordiales comme essences
capables en soi d’expliquer à tout moment les affrontements, les lignes de
divisions et d’alliances.
Quant
au conflit israélo palestinien, Blanc et Chagnollaud énumèrent plusieurs de ses
dimensions, arguant que seule la solution à deux états reste possible (si Israël
met fin à l’occupation et à la colonisation), celle à un état binational et
démocratique étant rejetée par la totalité des acteurs israéliens.
A
travers les trois axes et leurs chapitres, cet ouvrage atteste de la multiplicité
des facteurs politiques, sociaux et économiques qui impactent le Moyen-Orient et
rappelle les processus historiques saccadés ainsi que leurs implications actuelles.
Cet ensemble ne peut en aucun cas être ignoré, occulté ou même minoré lorsque
le sujet est adressé. Les idées simples et les raccourcis peuvent être
dangereux, et la formule d’Albert Camus que les auteurs citent « mal
nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde » prend encore plus
d’acuité dans cette région, qui semble à la fois si lointaine et si proche de
la France et du reste de l’Occident.
Ziad Majed