Préface de Ziad Majed du livre de Ghaïss Jasser "Pour que le Moyen-Orient retrouve la paix" paru chez l'Harmattan, Paris, Mars 2019.
Il était difficile d’imaginer en 2011, quand les
syriens et syriennes se sont soulevés contre un régime qui les opprimait depuis
quatre décennies, que la violence qui s’abattrait sur eux serait si féroce. Il
était d’autant plus impensable que la communauté internationale resterait huit
ans durant muette, paralysée, sourde à leurs souffrances et aux interventions militaires
dévastatrices iraniennes et russes.
Or, ces huit mêmes années ont connu tellement de
bouleversements, de conflits et de régressions politiques à l’échelle mondiale,
qu’un bilan s’impose aujourd’hui pour comprendre comment nous en sommes arrivés
là. Pourquoi la Syrie a été le catalyseur (ou le symptôme) d’un malaise profond
qui a frappé tout un système international, questionné le principe même de
l’universalité des droits humains et la crédibilité de leurs supposés
défenseurs ?
Depuis 2011, nous assistons à une montée
fulgurante des droites extrêmes, des discours xénophobes, et des haines
identitaires en Europe, aux Etats Unis et plus récemment en Amérique Latine.
Nous observons, sidérés, la succession des crises d’un monde plus que jamais
caractérisé par l’inégale redistribution des richesses, et surtout l’inégale
liberté de circulation qui, pour beaucoup, constitue la seule chance de survie.
Les frontières territoriales ou maritimes ne sont
plus des lieux de traversée, mais des lignes de fracture qui séparent et
parfois tuent. La peur d’être «envahi» par les immigrés ou les réfugiés
déclenche de nouvelles formes de mépris de l’autre, du désir d’apartheid et du
rêve hallucinatoire de la «communauté pure et homogène». La loi du sang et la
loi du talion refont surface, propageant une violence qui enserre l’imagination
dans un cercle mortifère duquel il parait difficile de sortir. Les démocraties
ne cessent de s’affaiblir face au renforcement des modèles autoritaires et des
hommes providentiels.
Il n’est donc pas surprenant que dans de telles
conditions, le discours «nationaliste» populiste incite au repli sur soi, à
l’occultation des causes profondes des crises et à l’indifférence à ce qui se
passe «ailleurs». Pire encore, les versions «radicales» de ce même discours
sont toujours à la recherche d’un ennemi, un bouc émissaire incarné par
«l’étranger», aujourd’hui le musulman, exactement comme le noir et le juif
hier.
Le Moyen-Orient ou le règne de l’impunité
Revenons au Moyen-Orient, cette région meurtrie
depuis soixante-dix ans par l’occupation et les dictatures, par les conflits et
l’injustice. Pourquoi se retrouve-t-elle de nouveau, après un formidable espoir
de changement, avec les soulèvements de ses peuples en 2011, dans une impasse
politique et dans une spirale de violence inouïe ? Comment la répression barbare
en Syrie a-t-elle contribué au triomphe des contre-révolutions, à la propagation
de la peur et du discours opposant la stabilité et la sécurité à la liberté et
la dignité humaine ?
C’est pour tenter de répondre à ces interrogations
que Ghaiss Jasser écrit ce texte – réquisitoire. Elle ne se contente pas, en
tant que femme franco-syrienne, militante et intellectuelle universaliste,
d’analyser l’état sidérant des choses. Elle va plus loin pour, à la fois
pointer du doigt les responsabilités et les politiques (internes et externes)
coupables du malheur qui frappe le Moyen-Orient, et pour nous inviter à nous
indigner, nous engager et agir.
Elle revient aussi sur l’un des conflits des plus
longs de l’histoire contemporaine, où l’injustice faite aux palestiniens et
l’impunité totale de l’occupant israélien depuis sept décennies ont été à
l’origine de plusieurs guerres et tensions dans la région et à travers le
monde. Une injustice qui a de surcroit servi de prétexte aux régimes despotiques
arabes pour museler leurs peuples, les réprimer et les paralyser à coup de
discours démagogiques, complotistes et «anti-impérialistes».
C’est pourquoi, la priorité sera toujours le rejet
de l’impunité en Palestine, comme en Syrie, au Yémen, en Irak, en Egypte, en
Iran ou en Arabie Saoudite. C’est l’un des axes majeurs sur lequel nous sommes
toutes et tous enjoints à nous mobiliser. Car le fait de combattre l’impunité
n’est pas seulement de l’ordre de l’éthique ou du juridique. Il s’inscrit
également et surtout dans une approche politique stratégique. En effet, exclure
des hommes et des femmes du droit international, laisser triompher des
occupations, des dictatures, des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité et normaliser avec certains de leurs auteurs pour des «intérêts
économiques ou sécuritaires» constituent des erreurs fatales à la paix et à la
stabilité durables. Rien de tel pour alimenter la frustration, la haine et la
colère, des composantes faisant le lit des nihilismes «jihadistes» dont le
discours et la justification des actes se construisent à partir de la
«victimisation» et des maux infligées aux peuples du Moyen-Orient.
Rejeter
l’impunité c’est aussi refuser toute solution imposée par la seule force
militaire et la loi du plus fort. C’est enfin réhabiliter une part de la
crédibilité des instances internationales et de leurs valeurs, et c’est par
conséquent, une nécessité vitale à la fois pour le Moyen-Orient et pour notre
monde…
Z. M.