L'interview accordée par le président français Emmanuel Macron à huit journaux européens, dans laquelle il définit sa politique en Syrie, est tombée comme une douche froide pour l'opposition syrienne qui dénonce un revirement de la part de Paris concernant le régime syrien.
Le politologue Ziad Majed, spécialiste de la Syrie, décrypte pour L'Orient-Le-Jour les propos du président Macron.
Le politologue Ziad Majed, spécialiste de la Syrie, décrypte pour L'Orient-Le-Jour les propos du président Macron.
1. « Bachar n’est pas l’ennemi de la France, mais l’ennemi du peuple syrien ». Comment expliquer d’abord cette dichotomie ?
Cette déclaration fait écho aux positions déjà exprimées l’année dernière par l’actuel ministre des affaires étrangères M. Le Drian lorsqu’il était ministre de la défense. Elle justifie l’intervention militaire contre Daech, et l’inaction face à Assad même s’il est responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui dépassent largement ceux de Daech.
La déclaration exclue les syriens de la communauté internationale et de l’Humanité, car même s’ils meurent sous la torture dans les geôles d’Assad et sous les bombardements aériens de son armée, cela ne fait pas de leur tueur de masse un ennemi de la France. C’est du mépris affiché vis-à-vis de tout un peuple et une approche qui dessaisis la France des valeurs universelles et du droit international qu’elle prétend souvent défendre.
Pire encore, ce message sera interprété par le dictateur syrien, comme un permis de tuer, comme une totale immunité, du moment que les dizaines de milliers de victimes ne sont que des enfants, des femmes et des hommes syriens (et palestiniens de Syrie).
2. « Je n'ai pas énoncé que la destitution de Bachar était un préalable à tout. Car personne ne m'a présenté son successeur légitime! » Est-ce pour dire que l’opposition actuelle n’est pas légitime ?
M. Macron avait lui-même déclaré en réponse à des associations franco-syriennes qui l’avaient interpellé sur sa position par rapport à la Syrie durant sa campagne présidentielle que « Bachar Al-Assad a commis des crimes de guerre contre son peuple. Son maintien au pouvoir ne peut en aucun cas être une solution pour la Syrie. Il n’y aura pas non plus de paix sans justice et donc les responsables des crimes commis, notamment les attaques chimiques, devront en répondre. La France continuera d’agir au Conseil de sécurité en ce sens, malgré l’obstruction systématique d’un des membres permanents ».
Aujourd’hui, M. Macron semble revenir sur sa position. En outre, considérer que l’absence présumée d’alternatives est une raison suffisante pour maintenir un tueur de masse en place est en soi une injure à l’intelligence du peuple syrien. M. Macron nie le potentiel de milliers de syriens, d’intellectuels, de technocrates, de juristes, de militants de la société civile qui ressemblent à ceux dont il est tellement fier au sein de son mouvement « en marche ». En tout état de cause, après la destruction massive de la Syrie par Bachar Al-assad et ses alliés, il est impossible de renaître sans une gestion politique collective. L’alternative ne tient pas à un seul leader, mais à un collège (dont plusieurs membres éventuels sont en ce moment emprisonnés ou exilés) qui pourrait remplacer le dictateur et son état meurtrier.
3- « La lutte absolue contre tous les groupes terroristes. Ce sont eux, nos ennemis. Nous avons besoin de la coopération de tous pour les éradiquer, en particulier de la Russie. » C’est la nouvelle realpolitik de la France ?
La déclaration peut être une forme de repositionnement par rapport au dialogue avec la Russie dans un moment de flou et d’imprévisibilité américaine. M. Macron croit pouvoir jouer un rôle plus important en retournant sa veste et en abandonnant les positions de principe de son prédécesseur M. Hollande.
Il se trompe lourdement car sa position dénote d’une naïveté et d’une absence de stratégie. Toutes les expériences passées montrent bien que la guerre contre le terrorisme ne se gagne pas par la simple coopération militaire avec les américains ou les russes (qui fait par ailleurs des centaines de victimes civiles en Syrie comme en Irak).
Le terrorisme se développe dans un contexte d’humiliation, d’absence de perspectives et d’occupation. Le nihilisme guerrier prospère sur les ruines du champ politique que les Assad père et fils ont détruit en Syrie par la répression, les massacres, les arrestations, l’impunité, et parfois la complicité des acteurs internationaux…. Tout le monde en paye le prix aujourd’hui. Nous le paierons encore plus cher dans quelques années à force de répéter les mêmes politiques. Une autre forme du Daeshism pourrait émerger.
M. Macron sait pertinemment qu’Assad se maintient aujourd’hui grâce à l’occupation militaire russe et iranienne d’une partie de la Syrie. Il n’ignore pas également que cette occupation est en soi une raison suffisante pour alimenter les frustrations et la colère, voire la résistance, qui sont loin de mener à une quelconque stabilité.
Plus Assad reste au pouvoir, plus Daech, al-Nosra ou d’autres qui leur succèderaient augmenteront leur capacité de recrutement. Bien entendu un départ d’Assad ne résoudrait pas d’emblée tous les problèmes. Il ne faut pas oublier que nous sommes à la sixième année d’un conflit précédé par 41 ans d’une dictature barbare. Sans une solution politique assurant une transition, sans justice et respect des droits humains, la solution militaire ne peut être que très temporaire face à l’extrémisme et à la terreur.
4. M. Macron répète ses « lignes rouges » : « les armes chimiques et l'accès humanitaire », sur lesquelles il affirme qu'il sera « intraitable ». Quelle est sa marge de manœuvre ? et que veut dire ces lignes rouges après tout ce qu’il vient de dire ?
Macron reprend les propos de Barack Obama dont nous connaissons hélas les conséquences néfastes. La ligne rouge sur les armes chimiques n’a été rien d’autre qu’un feu vert donné pour commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité avec toutes sortes d’armes sauf la chimique. Macron promettait de jouer un rôle de leadership politique et éthique au niveau européen et international. Cette déclaration l’a d’emblée décrédibilisé aux yeux d’une grande partie de ceux qui y croyaient.
Propos de Ziad Majed recueillis par Antoine Ajoury