Le
nouvel ouvrage de Jean-Paul Chagnollaud «Israël/Palestine : la
défaite du vainqueur» est un essai politique lucide, d’une clarté
remarquable, sur une question qui, malgré la succession des horreurs des autres
conflits du Moyen-Orient, occupe toujours une place centrale.
Le
texte est destiné à la fois aux connaisseurs, leur présentant une synthèse condensée
et éloquente, rappelant des faits que l’affluence des événements fait parfois
oublier, et à ceux qui souhaitent comprendre les dynamiques et les
caractéristiques d’un des conflits les plus anciens et les plus complexes de
notre ère.
Chagnollaud
organise son essai en cinq parties.
Dans la première, intitulée « l’obsession de
la force », il revient sur les guerres israélo arabes dans leur phase
étatique, puis dans le tournant de l’invasion du Liban en 1982, puis dans les
confrontations entre l’armée israélienne et les organisations libanaises et
palestiniennes, et finalement dans l’oppression et la violence quotidienne de
l’occupation et de la colonisation. La politique de la « puissance de feu
disproportionnée » que mettent en œuvre les israéliens est exposée, et
leurs déclarations officielles l’affichent en tant que « dissuasion de
l’ennemi ». Les civils palestiniens (comme libanais), déshumanisés, ne
comptent pas dans cette politique, et la série de guerres à Gaza (et au
sud-Liban) en a fait à maintes reprises la preuve.
Dans
la seconde partie, « tuer d’abord, négocier ensuite », Chagnollaud
rappelle plusieurs assassinats menés par les gouvernements israéliens depuis
les années 1990, leurs conséquences politiques et leur impact sur le terrain.
Il montre comment ils ont contribué à la fin du processus d’Oslo qu’Ariel
Sharon annonça la mort dès 2002 « Oslo n’existe plus; Camp David et Taba
n’existent plus. Nous ne retournerons jamais dans ces endroits » (Le
Monde, 8 septembre 2002).
La
troisième partie de l’ouvrage, « à droite toute », analyse le
glissement à droite de la société israélienne et de ses élites politiques, au
niveau de la scène électorale, des discours idéologiques dominants, et de la
radicalisation de l’opinion publique.
Quant
à la quatrième partie, « Jérusalem et l’instrumentalisation du
sacré », elle explique (des cartes à l’appui) comment la bataille pour
cette ville prend différentes dimensions : religieuses, foncières, et
démographiques. La fragmentation de l’espace de vie des palestiniens à
Jérusalem-est de même que le harcèlement bureaucratique qu’ils subissent n’ont
toutefois pas eu raison de leur forte « résilience démographique »
(se traduisant jusqu’à aujourd’hui par une croissance constante).
Enfin
la cinquième partie, « Tout a commencé le septième jour » revient,
cinquante ans après la guerre de 1967, sur ce que cette guerre a signifié et
aux mesures israéliennes qui l’ont suivie : transfert de population,
colonisation, expropriations de biens et de terres, humiliations, mur de
séparation et systèmes de discrimination.
En
guise de conclusion, Chagnollaud considère que malgré leur victoire militaire
et le rapport de force qui leur est toujours favorable, les israéliens
subissent aujourd’hui ce qu’il qualifie de « défaite du vainqueur ».
Car outre la résistance continue des palestiniens, « l’implacable domination
imposées [à ces derniers] est un système d’apartheid qui doit faire horreur à
la culture du peuple juif ». Par conséquent, la seule issue
possible réside selon l’auteur « dans l’invention d’un compromis
historique entre les deux peuples pour que chacun soit maître de son destin. Ce
serait pour les uns et les autres une véritable victoire, celle du droit, la
seule qui importe parce qu’elle est la seule à fonder une paix juste et
équilibrée. Toutes les autres ne sont, à l’échelle de l’histoire, que des défaites
différées »…
Ziad Majed
Article publié le 1er juin 2017 dans l'Orient Littéraire
Israël/Palestine :
la défaite du vainqueur, Jean-Paul Chagnollaud, Sindbad Actes Sud, Paris, mai
2017 (146 pages).