Depuis le
début de la révolution syrienne en mars 2011, et malgré la couverture
médiatique française des atrocités faites au peuple syrien par le régime
al-Assad, il est toujours étonnant de constater le peu d'initiatives de
solidarité de la société civile avec les Syriens, et le silence de la grande
majorité des intellectuels et artistes français (et occidentaux) qui ont
souvent été des « avant-gardistes » dans le soutien aux révolutions
et aux causes de liberté à travers le monde. Par Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr
Comment
expliquer cette inertie, voire ce manque d’intérêt pour ce qui se passe en
Syrie ? Il est possible de lister cinq éléments d’analyse pour
tenter de comprendre cette posture.
Le
premier élément est lié à une perplexité voire une paralysie face à ce que
beaucoup appellent la complexité du « Moyen-Orient ». Une région
attestant de conflits et d’enjeux depuis des décennies et un bastion de
« l’islam politique » qui inquiète et suscite peu de sympathie. Cet
imaginaire peuplé de clichés et de généralisations offre une image réductrice
et masque la réalité de la vie de millions de femmes et d’hommes, de leurs
luttes au quotidien, et de leurs véritables aspirations qui ont mené aux soulèvements
contre le despotisme ces deux dernières années. Cette trame ancrée dans les
esprits conforte une certaine tendance culturaliste dont peu arrivent à se
défaire.
Manifestation à Mawazini, Damas
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Culturalisme
C’est
ici le deuxième élément d’analyse à savoir que les « populations de cette
région » habituées aux conflits le sont également à la violence. Ces
révolutions ne sont donc qu’un nouveau conflit, s’ajoutant à d’autres, qu’il
est préférable de tuer dans l’œuf. De cette logique découlent deux idées
récurrentes sur les sociétés arabes à savoir que d’une part, elles ne sont pas
prêtes pour la démocratie et mieux encore il faut s’opposer à importer la
démocratie chez elles. Sous le prétexte fallacieux du respect de la diversité
des cultures, la démocratie devient un concept breveté de l’occident dont
l’usage est mis en doute ailleurs. Les aspirations démocratiques dans le monde
arabe ne seraient donc que des lubies agitées par des minorités politiques ou
par des courants manipulés par l’extérieur.
Le
troisième élément s’inscrit également dans cette même logique. La victoire des
Frères musulmans aux élections tunisiennes et égyptiennes remplaçant les
régimes déchus, n’a fait que renforcer la peur et alimenté des relents
islamophobes caricaturaux. Très peu tiennent compte du fait que les transitions
politiques post-dictatures ne se font pas du jour au lendemain sans accrocs et
que la victoire des mieux organisés et financés, et surtout les plus opprimés
sous les dictatures déchues (ici les islamistes), est une conséquence de
décennies de bâillonnement. Très peu misent sur le fait que la libération de la
parole et la construction progressive d’institutions politiques soient une
promesse que les choix des majorités (quelles qu’elles soient) soient
respectés. Pour aller plus loin, combien seraient prêts à considérer dans le
futur que les citoyens arabes ayant brisé le tabou de la peur seront de plus en
plus en mesure de juger leurs élus sur la base de programmes politiques et les
sanctionner si leurs engagements n’étaient pas tenus ?
"Nous resterons ici", A Dael, région de Deraa
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Le
quatrième élément affectant la mobilisation en France, comme en Europe, a une
dimension idéologique marquée par l’endoctrinement persistant d’une certaine
gauche « anti-impérialiste ». Ainsi, après l’enthousiasme qui a
accompagné le début des révolutions tunisienne et égyptienne (contre deux
régimes considérés pro-occidentaux), la militarisation de la révolution en
Libye suite à la répression du régime Kadhafi, puis l’intervention militaire
onusienne à travers les forces de l’OTAN ont changé la configuration de ce
qu’on appelait déjà « printemps arabe ».
Très
vite, les débats habituels concernant les complots impérialistes, les enjeux
économiques et le pétrole se sont imposés. Une vision apocalyptique des
révolutions a émergé dépeignant une alliance entre un occident guidé par ses
seuls intérêts stratégiques et les forces obscurantistes de la région dites
tantôt salafistes tantôt jihadistes, tantôt les deux ensemble.
Gauche des « complots »
En
ce qui concerne la Syrie, faire barrage aux islamistes et aux forces
impérialistes est devenu le leitmotiv de cette gauche
« pavlovienne », armée des arguments de la propagande du régime de
Damas, soi-disant menacé par ces deux fléaux.
Malgré
des centaines de milliers d’images, de films et de dizaines de rapports
d’organisations humanitaires établissant la cruauté d’Assad (à côté duquel les
autres dictateurs de la région passent pour des « tendres ») contre
son peuple (qui a lutté pacifiquement pendant des mois avant que certains ne
prennent les armes), on continue d’évoquer l’impérialisme et les complots.
Les auteurs de cette gauche, faisant abstraction des peuples, font même
délibérément diversion sur les causes des syriens en questionnant
la démocratie en Arabie Saoudite ou les projets du Qatar ou
les plans "israélo-occidentaux" contre l’Iran! Tout se passe
comme si l’absence de libertés en Arabie et les ambitions du Qatar
délégitimaient le soulèvement populaire contre un régime criminel qui
gouverne la Syrie depuis 42 ans. Ou comme si le meurtre de plus de 25 000
Syriens par al-Assad n’était pas en soi un motif suffisant pour exiger son
départ et son jugement, indépendamment de tous les enjeux régionaux.
Quant
à dénoncer les intérêts des acteurs externes et s’en indigner, c’est faire la
démonstration d’une grande naïveté politique puisque l’essence même des
relations internationales est basée sur la quête des intérêts propres des
protagonistes (Iran, Russie et Chine compris) !
Le
cinquième élément est le facteur temps qui s’ajoute à l’éloignement
géographique (et ce fut également le cas pour le Yémen et le Bahreïn) qui
provoquent lassitude et désintérêt. En effet la durée n’a pas joué en faveur
des révolutions. Ainsi, la révolution syrienne, la seule qui se poursuit après
le départ du président du Yémen, l’étouffement (temporaire) du soulèvement bahreïni et
la fin des contestations en Afrique du Nord (voisin) est reléguée au rang des
faits divers pour beaucoup de gens même si les horreurs de la répression
font souvent la une dans la presse et sont prioritaires dans l’agenda de la
politique française. L’inertie de la diplomatie et le sentiment d’impuissance
face à ce qui se déroule alors que les réunions et les congrès se multiplient
offrent encore moins d’horizons et d’espoir auxquels une mobilisation pourrait
se raccrocher.
Pourtant,
aujourd’hui, il s’agit de s’élever contre des massacres annoncés, d’assurer la
protection de populations civiles qui perdent la vie par
centaines quotidiennement. C’est avant tout une conception humanitaire et
éthique de la solidarité qui est en jeu et qui devrait transcender tous les
autres clivages.
Vacances...
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Les
révolutions arabes, et surtout la révolution syrienne, ont eu le mérite de
mettre une partie de l’opinion publique dans plusieurs pays face à ses
contradictions. Une question préliminaire s’impose toutefois avant toute
réflexion : Qui consentirait à être gouverné par un père et son fils, un
parti unique, des lois martiales, un état policier, des chars et des réseaux
mafieux pendant 42 ans ? Qui s’accommoderait de voir dans son propre pays
s’allonger la liste des victimes, des disparus, des prisonniers politiques et
des exilés ? Seule une réponse tranchée est à même de construire une
solidarité respectueuse de la dignité et la liberté de l’Autre, et donnerait
une légitimité à tout débat.