Retour sur une semaine qui ressemblait
à une « contre révolution ». Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr
La semaine dernière a connu
des manifestations violentes en Egypte, Libye, Tunisie, Soudan, Yémen, Nigeria,
Pakistan, Bengladesh, Liban, Iraq et Iran soldées par le meurtre de
l’ambassadeur américain en Libye (par asphyxie), trois de ses collègues, et la
mort d’une dizaine de manifestants dans plusieurs villes. Quelles que soient
les motivations de ceux qui ont diffusé le film grotesque, il a eu pour effet
un déchainement des passions mais aussi l’ouverture d’un débat animé au niveau
de la sphère intellectuelle arabe et de la société civile allant de
l’indignation, à la condamnation de la violence et à l’autocritique.
Mais que faut-il donc retenir
de ce qui s’est passé?
Une surenchère médiatique
Des fiches statistiques
circulant sur les réseaux sociaux donnent des versions presqu’identiques du
nombre de manifestants vendredi 14 septembre dans les 11 pays concernés
(dont 7 pays arabes).
En Egypte : 2000 - 2500.
En Libye : 500.
En Tunisie : 500.
Au Soudan : 2000 – 2500.
Au Pakistan : 2000.
Au Bengladesh : 300.
Au Nigéria : 300.
Au Yémen : 400.
En Iraq : 300.
En Iran : 300.
Au Liban : 500 (à
Tripoli).
Au total, le nombre de
manifestants dans les 11 pays a donc été estimé entre neuf mille et dix mille personnes.
Autant dire qu’il s’agit d’une minorité d’illuminés en colère criant sa haine
devant les consulats et ambassades américains, et qui a pourtant réussi à monopoliser
la « scène publique » dans plusieurs pays de la région et à s’assurer
une couverture médiatique abondante.
S’il est prévisible et normal
que ce type de manifestations attire l’attention des médias (surtout autour de
la commémoration du 11 septembre !), la couverture exagérée qui en a été
faite dans le monde arabe comme en occident est à questionner. Que dire de
l’amplification de faits présentant l’évènement comme un raz de marée salafiste
dans le monde arabe si ce n’est l’instillation de l’idée de l’échec des
révolutions contre le despotisme et du danger de la démocratie qui risque d’amener
des obscurantistes au pouvoir ?
La majorité des médias ont en
revanche peu couvert les initiatives citoyennes anti-intégristes qui se sont
multipliées en même temps, soit sous forme de rassemblements (Liban et Lybie
par exemple, voir photo) soit sur la toile (une page facebook en Libye « je suis
libyen et je condamne l’assassinat de l’ambassadeur américain. Le terrorisme ne
me représente pas » a rassemblé en quelques heures quelques milliers de
membres). On a également peu parlé de la condamnation de la grande majorité des
intellectuels et journalistes arabes (de toutes tendances, y compris ceux
proches des courants frères musulmans) des actes barbares qui ont eu lieu en
Libye et dans d’autres pays durant les manifestations, et de leur indignation
face à des comportements rappelant les scènes caricaturales montrées dans les
extraits du prétendu film.
Photo de manifestation contre l’attaque du consulat à Benghazi et le meurtre de l’ambassadeur.
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Manipulation par des réseaux salafistes
Comme lors de l’affaire des
caricatures danoises, certains réseaux salafistes n’ont eu pas de mal à
mobiliser des centaines de jeunes dans plusieurs capitales, et à les pousser à
l’affrontement avec les forces de l’ordre autour de quelques ambassades. A
l’époque, en 2005, un travail de manipulation et de contrôle minutieux des
services de renseignement locaux avait laissé faire les salafistes, tout en
contenant leur « colère » afin de les utiliser comme épouvantail.
Cette fois c’est dans un terreau pétri de frustration que les réseaux salafistes
marginaux ont recruté. Des milieux où le fanatisme religieux se mêle à une
colère exprimée de manière si spectaculaire qu’elle en fait oublier le petit
nombre de manifestants.
Une "contre-révolution" politique
Une "contre-révolution" politique
Ce qui s’est passé cette
semaine a tenté par l’image de tourner la page des révolutions du printemps
arabe et détourner l’attention sur les vrais débats en cours dans la région.
Cette violence affichée
avait, entre autres, pour objectif d’intimider les laïques qui se mobilisent en
Tunisie comme en Egypte, et de faire oublier que les courants de l’islam
politique en Libye n’ont obtenu à travers les premières élections libres du
pays que 17 sièges sur les 200 qui forment la constituante.
Il faut rappeler que les
révolutions arabes avaient totalement marginalisé le discours d’al-Qaïda, de
même que ses outils de communications et ses pratiques. Toutes les
revendications portaient sur des choix civils, des principes de la démocratie
libérale, des élections, des libertés et des règles constitutionnelles. Des
revendications ont été portées de la même façon par la majorité des « islamistes »
qui avait accepté les règles du jeu.
D’ailleurs l’opposition aux
manifestations violentes exprimée par le président égyptien et par des
ministres du gouvernement tunisien est à signaler. Ces deux gouvernements (contrôlés
par les frères musulmans) se trouvent néanmoins dans une position délicate en
raison de considérations politiques vis-à-vis de certaines formations
salafistes qui pourraient les accuser de permissivité par rapport aux
« valeurs sacrées » de l’islam.
Tout s’est passé comme si subitement
éclatait « une contre révolution », violente mettant en exergue la haine
de l’Autre, de l’Occident « agresseur », et ramenant la politique
étrangère au premier plan au détriment des processus politiques en cours et des
préoccupations sociales et culturelles internes.
La récupération du Hezbollah libanais :
Comme pour se démarquer du
reste du monde, le Hezbollah libanais a organisé une série de sit-in à travers
le pays bien après les manifestations de la semaine du 11 au 14 septembre. Des
dizaines de milliers de militants chiites ont été mobilisés (le 17 septembre) pour
l’évènement auquel le leader du parti Hassan Nasrallah a fait une apparition
publique furtive, ce qui est exceptionnel et rare. Ce n’est pas tant une
protestation contre le film américain que la volonté de se saisir de l’occasion
pour faire une démonstration de force vis-à-vis de plusieurs cibles. Il s’est ainsi montré aux yeux du monde musulman
aussi fervent défenseur du prophète que les partis salafistes même s’il est
perçu en tant que chiite comme un parti hérétique par les intégristes sunnites.
Sur le plan libanais, il a voulu rappeler sa puissance, sa capacité de
mobilisation de sa communauté et sa maitrise de la situation à un moment de
crise et d’attente politique. Cela signifie du même coup aux israéliens sa
force et son aptitude à faire face à des menaces de guerre régionale contre son
tuteur iranien. Pour aller plus loin encore, le Hezbollah a saisi cette
opportunité pour déplacer les débats sur les libertés, la citoyenneté, les
constitutions et la reconstruction étatique en cours depuis les révolutions
arabes, sur la « lutte contre les Etats Unis ». C’est en plus un coup
de main apporté à son allié Assad et une entreprise renouvelée pour détourner
l’attention des massacres du régime en Syrie.
Manifestation du Hezbollah |
Pendant ce temps… en Syrie
Alors que le monde entier,
pour certains incrédules, pour d’autres en colère ou révoltés est focalisé sur
la folie d’une bande d’annonce et des réactions violentes et surannées qu’elle
a suscitées, plus de 1000 personnes ont été tuées en Syrie en une semaine…
Les syriens ont répondu
à l’absurdité de la situation par l’humour noir et l’ironie.
Nous avons ici la projection d’un film Assadien depuis 18 mois et qui porte atteinte au prophète et à son dieu! |
A gauche : Des dizaines de milliers de musulmans tués en Syrie.
A droite : Les Etats unis diffusent un film insultant le prophète.
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Le monde demeure "impuissant" devant une mort annoncée, et pendant ce temps, malheureusement le ridicule continue
lui aussi de tuer.