Bon nombre d’intellectuels et d’activistes palestiniens se désespèrent de
la situation de ces dernières années. Les Palestiniens ont toujours été les
pionniers dans leur dynamisme et leur diversité politique, d’opinion et de
courants dans un monde arabe gouverné pour l'essentiel par le despotisme et le
parti unique et/ou clanique, républiques et monarchies confondues. Ils
constituaient avec leurs Intifadas successives (en particulier celle de 1987 contre
l’occupation, l’impuissance, le silence et la duplicité internationale) une
avant-garde de tous les mouvements populaires arabes.
Et
voilà qu’avec les transformations majeures (dues aux révolutions) qui touchent
la Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Bahreïn, le Yémen et la Syrie, avec la
progression des contestations au Maroc et en Jordanie, les Palestiniens
semblent avoir du mal à emboîter le pas des révolutions et à se rebeller contre
leur situation interne en premier et l’occupation israélienne ensuite.
L’Autorité palestinienne a cru compenser cette inertie en livrant une
bataille diplomatique dans une période qu’elle jugeait favorable. Mais elle
s’est vite ravisée face à la pression américaine, la complexité de la situation
et le déchirement national dont elle porte autant que le Hamas la
responsabilité.
Aujourd'hui,
la situation semble être au plus bas tant au niveau interne qu'externe. Les
Palestiniens semblent être dépourvus d'options politiques et de possibilités de
réconciliation, et peinent à développer une nouvelle politique étrangère.
Quelles sont les raisons de cette impasse ?
L’impuissance face à la machine de colonisation israélienne
La première raison, et non la moindre, est cette situation de blocage face
à un gouvernement israélien de droite et d’extrême droite qui agrandit
obstinément ses colonies en Cisjordanie et Jérusalem-Est et qui confisque les
biens et les terres palestiniennes dans le but d’accélérer le « politicide » de l’entité palestinienne; et ce, concomitamment avec
l'échec onusien à geler les décisions colonisatrices du gouvernement israélien
et l’absence de nouveaux plans pour contrer cette situation.
La rupture entre la Cisjordanie et la bande de Gaza
La deuxième raison est la terrible fragmentation des Palestiniens entre la
bande de Gaza et la Cisjordanie depuis plus de cinq ans. Entre l’autorité
palestinienne et sa base, le mouvement Fatah, et le Hamas, une sorte de guerre
civile froide est toujours en place. Elle se manifeste par des mesures de
répression mutuelle, par l’existence de deux gouvernements tous deux faibles,
et par de nombreuses divergences, en particulier sur la gestion du conflit et
de la négociation avec Israël.
Le sentiment que la cause palestinienne a été oubliée
La troisième raison réside dans l’épuisement qui a gagné une grande partie
des Palestiniens à la suite des tergiversations des pays arabes et occidentaux
en regard de leur cause. La détérioration croissante du niveau de vie du fait
de la baisse de l’aide internationale à l’Autorité, le recul considérable des
investissements et le blocus sur Gaza ont eu également raison de la société,
qui ne voit pas poindre à l’horizon de sérieux signes de modification de
l’attitude des puissances internationales vis-à-vis de l’occupation
israélienne. Un nouveau soulèvement contre les Israéliens pourrait ainsi coûter
très cher, et les divisions rendent impossible une mise en œuvre d’objectifs
politiques communs.
En bleu, les colonies israéliennes en Cisjordanie |
La Confusion liée aux changements régionaux
La quatrième raison tient au flou qui règne quant à la vision politique
tant de l'Autorité nationale représentée par le président Mahmoud Abbas que du
Hamas à la suite des changements profonds qui ont lieu dans le monde arabe,
avec notamment la montée des Frères musulmans dans plus d'un pays. Pour la
Palestine, le pays le plus important reste bien entendu l’Égypte vu sa relation
avec les Palestiniens et sa gestion du point de passage de Rafah.
Mais il s’est produit de fait et par ailleurs une redistribution des cartes
concernant les alliances régionales des deux partis palestiniens.
Le Hamas a quitté Damas après la révolution syrienne contre le régime
d'Assad et s’est éloigné de l’axe Iran-Syrie pour se rapprocher des États du
Golfe, anciens soutiens de l’Autorité palestinienne. Il a également consolidé
sa relation avec la Turquie, et a sans doute des liens importants avec le
nouveau pouvoir égyptien qui aspire à redevenir un acteur majeur sur la scène
moyen-orientale. Cela signifie que le Hamas représente aujourd’hui un élément
de tiraillement et de repositionnement régional qui le détournent
temporairement des affaires internes.
Quant à l’Autorité palestinienne, dans une hésitation constante, elle
semble incapable de se mouvoir ou d’impulser des initiatives qui
accompagneraient les changements. Douze mois ont passé depuis le passage à
l'Organisation des Nations unies en 2011 pour acter l’échec des négociations
précédentes et inciter la communauté internationale à jouer son rôle pour
permettre l'acceptation d'un État palestinien. Elle semble depuis de longs mois
ne plus poursuivre le combat et les efforts diplomatiques pour arracher la
reconnaissance de la Palestine, et reste dans l’expectative quant aux
développements dans la région.
Le délaissement des camps en Syrie et au Liban
La faillite de la gestion politique des affaires palestiniennes ne
s’illustre pas seulement en Cisjordanie et à Gaza ou par le manque de dynamisme
diplomatique, mais se manifeste aussi à l'égard de la « diaspora »
palestinienne, en particulier des réfugiés dans les camps au Liban et en Syrie.
Dans les camps du Liban, les tensions sont permanentes au nord comme au
sud. Les réfugiés souffrent à l'intérieur et à l'extérieur des camps des lois
libanaises discriminantes à leur égard. Aucune des parties palestiniennes ne
semble en mesure d’agir sur la situation et diminuer la pression sur les
réfugiés.
En Syrie, l’aggravation des conditions de vie des Palestiniens a été
fulgurante, le régime ayant opéré des attaques contre les camps de réfugiés (de
« Raml » à Lattaquié, à « Yarmouk » et
« Palestine » à Damas en passant par les camps de Daraa, Homs, Hama
et Alep) au prétexte que ces derniers abritaient des activistes syriens et que
les Palestiniens participaient aux manifestations contre le régime.
Ces attaques se sont soldées par l’arrestation, la blessure et la mort de
centaines de Palestiniens. Des milliers d’autres ont été déplacés à l'intérieur
de la Syrie ou ses environs (Liban et Jordanie en particulier). Face à ce
drame, ni l’autorité palestinienne ni les principales organisations, dont le
Hamas, n’ont pris d’initiatives. Ce qui a fini de creuser davantage le fossé
entre les réfugiés, l’« Autorité » et les mouvements politiques
perçus comme incapables, absents et indifférents à leur sort.
Un peu d’espoir…
À la lumière de ce qui semble donc être une impasse sans horizon, un
vacillement de l’Autorité, un repositionnement du Hamas, une diminution de
l’attention internationale et des craintes des développements régionaux, rien
de ce qui filtre des réunions de la direction palestinienne ne semble clair.
Cette dernière évoque une nouvelle possibilité de revenir à l'Organisation des
Nations unies pour parachever la demande de reconnaissance de la Palestine,
tandis que des proches de l’Autorité n’écartent pas la possibilité d’une
démission de Mahmoud Abbas. Certains s’attendent également à une attaque
israélienne contre l’Iran qui aurait des répercussions sur la situation
palestinienne et d’autres attendent les résultats des élections aux États-Unis pour
connaître les orientations futures de la politique étrangère de
l'administration américaine.
Mais la complexité de la situation et le sentiment d’impuissance ne
sauraient confisquer à eux seuls la scène palestinienne. De nouvelles
dynamiques percent en marge, regroupant des jeunes de différentes appartenances,
indépendants des formations politiques classiques et du pouvoir. Ils
s’investissent pour l’affirmation de leur citoyenneté en se mobilisant contre
la corruption, la censure et la répression. Ils ont par exemple mené une
campagne contre des policiers palestiniens qui ont agressé des manifestants
devant le ministère de l’intérieur. Ils ont également organisé la couverture
médiatique de la grève de la faim que les prisonniers palestiniens en Israël
avaient entreprise. Ils ont dénoncé les arrestations politiques à Ramallah
comme à Gaza. Les organisations de femmes sont très actives dans le domaine des
législations discriminantes et la formation de leaders.
Manifestation à Ramallah contre les arrestations politiques |
Cette mobilisation citoyenne de plus en plus structurée marque peut-être un
moment où les Palestiniens prennent conscience que la consolidation du tissu
social est un préalable à tout changement. C’est aussi la raison pour laquelle
ils sont très investis dans les domaines de la culture, de la musique et de
l'éducation, et la plupart usent des moyens de communication virtuelle et des
réseaux sociaux, tout comme leurs homologues dans les pays arabes.
Il reste à savoir à quel moment ce travail patient de reconstruction et de
consolidation portera ses fruits et influera véritablement la vie politique de
ce pays morcelé, et toujours en attente « d’être reconnu »…