Un état des lieux de la situation aujourd’hui, par Nadia Aissaoui et Ziad
Majed pour Mediapart.fr
Situation Militaire
Du Nord-Ouest (Idlib) à l’Est (Deir Ezzor) en passant par Alep, la deuxième
ville du pays, et du centre (Homs) au Sud (Deraa) en passant par la capitale
Damas et ses banlieues, la Syrie connaît des combats et des accrochages de
différentes intensités.
L’Armée Syrienne Libre (ASL) et les combattants de l’opposition contrôlent
une grande partie du territoire dans la périphérie du pays et ses régions
rurales, de même que plusieurs quartiers dans les villes d’Alep, Homs et Deir
Ezzor. Ils mènent une guerre d’usure et des tactiques de guérilla à Idlib,
Damas et Deraa, et arrivent à mieux coordonner leurs opérations militaires.
Leur avancée sur le terrain depuis mai dernier est liée à trois facteurs :
une meilleure structuration de leurs brigades et groupes dispersés dans le
pays ; l’arrivée d’armes légères (lance-roquettes anti-char et
mitrailleuses) passées par la frontière turque en provenance du Qatar et de
l’Arabie Saoudite ; et l’affaiblissement de l’armée du régime déployée sur
tout le territoire, subissant quotidiennement des défections d’officiers, de
soldats et infiltrée par l’ASL.
Par son équipement et sa puissance de feu, l’armée du régime reste
néanmoins supérieure. Elle reçoit des livraisons d’armes russes, mais dépend de
plus en plus de ses forces aériennes qui utilisent les avions de chasse Mig
dans le nord du pays, et les hélicoptères dans la capitale. Résultat : des
destructions et des scènes apocalyptiques que des activistes documentent
régulièrement. Les bombardements et la politique de la terre brûlée sont
aujourd’hui les seules méthodes que le régime pratique pour se maintenir ou
reprendre contrôle des villes où se positionnent les opposants.
Deir Ezzor |
Homs |
Solidarité et mobilisations
Dans le même temps, la société syrienne manifeste pour la première fois
depuis des décennies de nouvelles formes de résistance civile, comme les
initiatives citoyennes de solidarité avec les déplacés.
Des matelas, des produits alimentaires et des vêtements sont distribués
dans des écoles et des mosquées ouvertes aux familles dans certains quartiers
de Damas ou dans les quartiers les plus sûrs dans d’autres villes. Des soins
médicaux et parfois des suivis psychologiques sont organisés par des
volontaires, surtout à Damas. L’organisation Najdeh
now (secours maintenant) est une des initiatives qui illustrent
le travail de cette émergente société civile.
Un travail de documentation est réalisé par des volontaires et des avocats
pour constituer la mémoire de la révolution et enregistrer les noms des Syriens
et Syriennes morts, détenus ou disparus, de même que les dates et les lieux de
leur « disparition ». Un site est en
charge de cette documentation et s’ajoute au site
Damascus Bureau (en anglais et en arabe), qui publie des
témoignages sur la vie des gens pendant la révolution.
Ce travail « civil » accompagne l’aspect pacifique de la
révolution qui toujours maintient sa présence et sa force de
mobilisation à travers le pays. Dans les villes et villages qui ne subissent
pas les bombardements, des manifestations, des sit-in sont toujours organisés.
Comme en témoigne cette vidéo de manifestation organisée vendredi 3 août dans
la région d’Idlib.
Camps de réfugiés palestiniens : enjeu symbolique
Depuis le début de la révolution, les camps de réfugiés palestiniens en
Syrie ont été des lieux de refuge pour des centaines d’activistes syriens et de
familles fuyant la répression et les combats. Les conséquences pour ces camps
ont été dramatiques : la marine syrienne a
bombardé le camp de Raml à Lattaquié, son infanterie a bombardé les camps de
Deraa, de Homs et de Hama. Plus récemment, l’artillerie du régime a bombardé le
camp de Yarmouk à Damas, le plus grand camp de Syrie. Des dizaines de morts et
de blessés sont tombés. Un comité palestinien de soutien à la révolution
syrienne s’est constitué dans ce camp. Sur sa page Facebook, il informe sur la répression du
régime et raconte la vie dans le camp.
Une caricature de la propagande du régime syrien qui prétend défendre la
Palestine tout en commettant régulièrement des crimes contre les Palestiniens
pour contrôler leurs mouvements politiques (depuis le conflit militaire avec
l’OLP de Yasser Arafat au Liban à partir de 1976, mais surtout entre 1982 et
1990) circule sur des pages Facebook syriennes et palestiniennes.
Elle illustre
l’aspect symbolique de l’enjeu palestinien en Syrie, le régime ayant promu
pendant de longues années son image de « soutien » de la cause et
« grand frère » des Palestiniens…
Défections
Les dernières semaines ont connu d’importantes défections de généraux, de
diplomates et de responsables syriens.
Après le général Manaf Tlas, ami de Bachar et fils de l’ancien ministre de
la défense syrienne Mustafa, qui a quitté le pays pour la France avant de faire
une tournée en Arabie Saoudite et en Turquie, des dizaines d’officiers hauts
gradés accompagnés souvent par leurs gardes du corps ont fait défection.
Certains se sont ralliés à l’Armée Libre à l’intérieur du pays, d’autres ont
choisi de quitter le territoire syrien pour se rendre en Jordanie et surtout en
Turquie.
Des ambassadeurs (en Irak, à Chypre et aux Émirats arabes unis) de même que
des diplomates et consuls (en Biélorussie, Arménie, et aux États Unis) ont
démissionné de leurs postes. Certains, dont l’ancien ambassadeur à Bagdad, et
le consul à Erivan, ont rejoint l’opposition et s’activent pour dénoncer le régime.
Mais le plus important, symboliquement du moins, reste la défection, le
mardi 6 août, du premier ministre syrien Riad Hijab.
Il est arrivé en Jordanie avec sa famille, son porte-parole et certains
membres de son cabinet. Sa défection est considérée comme un coup dur pour le
régime pour trois raisons :
D’abord, il est constitutionnellement le numéro deux du pouvoir exécutif
après le président (même si le véritable pouvoir est entre les mains du comité
militaire du clan familial d’Assad, regroupant le frère, l’oncle et les cousins
du président).
Ensuite, il a été présenté il y a deux mois par les médias officiels du
régime comme « l’homme des réformes et de la stabilité de la
Syrie ». Il est parvenu à quitter le pays avec ses proches bien que
les forces de l’ordre et les services de renseignement soient censés contrôler
et superviser les mouvements des responsables et de leurs familles pour
s’assurer de leur sécurité et leur fidélité. Ce qui indique des failles
importantes au niveau de leur dispositif.
Enfin, c’est un coup psychologique porté au régime qui, si l'on excepte la
force de son artillerie, apparaît de plus en plus affaibli aux yeux des
citoyens.
Le terrain s’impose sur la politique
Les développements sur le terrain prennent le dessus et s’imposent sur la
situation politique, qui semble bloquée. La Russie et la Chine font toujours barrage
à toute initiative des Nations unies, tandis que le médiateur international
Kofi Annan a démissionné, jeudi 2 août, après l'échec de plus de cinq mois
d'efforts pour un règlement du conflit. La Ligue arabe demeure impuissante et
les pays occidentaux ne trouvent pas de consensus sur l’approche à adopter.
Seule la Russie et les acteurs régionaux s’activent : Moscou et Téhéran
pour soutenir et armer le régime, Ankara, Doha et Riadh pour venir en aide de
l’opposition.
Char de l'armée du régime détruit à Alep |
C’est donc dans les combats que les choses semblent se décider. Les forces
du régime ont toujours l’avantage au niveau de la puissance de feu et de la
capacité de destruction qui leur permettent de reprendre temporairement villes
ou villages. Les forces de l’opposition ont l’avantage de la mobilité, de
l’effet de surprise, et du soutien populaire dans la plupart des zones de
combat.
Manifestation à Damas |
Les semaines à venir promettent des développements importants, dont les
scénarios restent incertains.