Dans un ouvrage publié fin 2024, Philippe Rekacewicz, géographe et cartographe, et Dominique Vidal, historien et journaliste, proposent une analyse singulière des mutations territoriales en Palestine jusqu’en 2022.
Intitulé Palestine-Israël: une histoire visuelle, cet ouvrage retrace l’évolution des représentations cartographiques de la région, depuis l’émergence du projet sioniste à la fin du XIXᵉ siècle jusqu’à l’expansionnisme israélien contemporain. À travers un corpus de cartes inédites et d’archives rares, les auteurs dévoilent les strates d’un «conflit» où chaque tracé territorial a eu son impact politique.
Leur analyse s’articule autour de grands tournants historiques : le déclin de l’Empire ottoman et la déclaration de Balfour de 1917, moment charnière de la domination britannique ; le plan de partage de 1947 par l’ONU, prélude à la Nakba palestinienne ; puis l’accélération de la colonisation israélienne après la guerre des Six-Jours en 1967.
Il est à noter que l’ouvrage ne se limite pas à une chronologie linéaire des événements. En effet, il déploie, tout au long de ses six chapitres, une démonstration visuelle, au sein de laquelle les cartes dialoguent avec des textes détaillés et des analyses rigoureuses. Les deux premiers chapitres mettent en exergue les tensions entre les projets migratoires sionistes et les réalités démographiques locales, ainsi que les promesses contradictoires des Britanniques à l’égard des populations arabes et juives européennes.
Les chapitres suivants, plus dynamiques, analysent les soubresauts de la «violence»: révoltes arabes des années 30, guerres de 1948 et de 1956, puis grande expansion en 1967, suivie d’un grignotage des territoires palestiniens qui s’est perpétué tout au long des années 90 malgré les accords d’Oslo. Une attention particulière est portée à la fragmentation de la Cisjordanie, illustrée par un réseau complexe de colonies, d’autoroutes, de points de contrôle et du mur de séparation qui a divisé l’espace en une mosaïque de «bantoustans» ingouvernables.
Concernant la situation à Gaza, il est notable que cette dernière a été progressivement encerclée dans un étau militaro-territorial, transformée en «prison à ciel ouvert» à partir de 2007, et donc seize ans avant les attaques du 7 octobre 2023 et la guerre génocidaire qui les a suivies.
L’originalité de l’ouvrage réside également dans son analyse des «cartes fantômes», à savoir les projets de paix avortés, tels que le plan Clinton ou l’initiative de Genève. Ces projets hypothétiques offrent un contraste saisissant avec la réalité de l’annexion. En outre, l’ouvrage met en exergue, à travers une juxtaposition de représentations graphiques, la manière dont chaque initiative visant à établir une partition du territoire a été confrontée à la croissance continue des colonies israéliennes. Ce phénomène a entraîné une réduction significative des perspectives d’un État viable pour les Palestiniens.
Le dernier chapitre, particulièrement percutant, examine la dérive droitière de la société israélienne au cours des trois dernières décennies. Les auteurs y décryptent l’influence grandissante des partis nationalistes religieux, le durcissement législatif, et leur traduction spatiale : politique de judaïsation de Jérusalem-Est, confiscation des terres, contrôle des ressources en eau, légalisation rétroactive de colonies sauvages, et développement «urbain» agressif et accéléré dans plusieurs zones en Cisjordanie.
L’ouvrage adopte ainsi une approche qui transcende les débats stériles entre «camps» antagonistes. Il présente une grille d’analyse permettant de saisir les responsabilités internationales, qu’il s’agisse du soutien britannique initial au projet sioniste ou de la complaisance actuelle des démocraties occidentales face à l’occupation israélienne et à ces guerres sans fin. Il offre un contrepoint savant à la propagande et aux médias qui la véhiculent, contribuant à une meilleure compréhension du passé et du présent.
Palestine-Israël : une histoire visuelle de Philippe Rekacewicz et Dominique Vidal, Seuil, 2024, 256p.
Ziad
Majed
Article paru dans L'Orient Littéraire, Avril 2025