vendredi 4 avril 2025

Barbarie dans la civilisation

«La Palestine est devenue une cause universelle, parce que l’injustice faite à son peuple depuis 1948, redoublée depuis 1967, prolonge au cœur de notre présent l’injustice des colonisations occidentales qui ont fait la richesse, la puissance et la domination de l’Europe sur le monde. Le ressort du colonialisme est la supériorité, donc l’inégalité et, par conséquent, la négation des principes universels que les démocraties occidentales prétendent avoir proclamés… Cet engrenage est fatal, générant une barbarie qui ensauvage la civilisation».

C’est ainsi qu’Edwy Plenel présente sa blessure palestinienne dans son nouvel ouvrage, dédié à Leila Shahid et Elias Sanbar, paru en février 2025 aux éditions La Découverte.

L’ouvrage rassemble onze longs articles initialement publiés sur Mediapart, enrichis d’une introduction inédite analysant la condition palestinienne et ce qu’elle révèle, d’une part, d’Israël et, d’autre part, du reste du monde.

En effet, selon Plenel, si Israël a tiré sa légitimité internationale de la conscience du crime contre l’humanité commis contre les Juifs d’Europe, le pays est devenu «un laboratoire de la résurgence des idéologies qui l’ont enfanté». Son extrême droite, aux commandes du pouvoir de Benjamin Netanyahou, adopte le même lexique que les fascismes, et sa guerre génocidaire à Gaza ainsi que les politiques d’apartheid qu’il impose depuis des décennies aux Palestiniens dans les territoires occupés rappellent les heures les plus sombres de l’Histoire.

Mais c’est surtout l’impunité absolue dont bénéficie Israël, malgré ses crimes de masse et son mépris répété du droit international, qui reflète l’état le plus alarmant et inquiétant du monde contemporain. Cette impunité agit comme un permis de tuer accordé à tous les régimes nationalistes, xénophobes et identitaires. Elle constitue une «invitation à la sauvagerie généralisée», soutenue par les vetos américains au Conseil de sécurité des Nations Unies et par les positions complices de la plupart des démocraties occidentales, qui trahissent les idéaux d’égalité et de justice issus des souffrances de la Seconde Guerre mondiale et des conventions et institutions juridiques qui en ont découlé.

Ces mêmes démocraties, et Plenel s’arrête sur le cas français, justifient leur complaisance en menant des campagnes de «maccarthysme», assimilant systématiquement toute critique d’Israël à de l’antisémitisme. Elles instrumentalisent la lutte, pourtant nécessaire et sans ambiguïté, contre ce racisme néfaste afin d’étouffer le débat démocratique et de criminaliser la solidarité avec les Palestiniens et leur cause de libération.

Plenel souligne en outre que, dans ce contexte de déclin des droits humains, de censure et de compromission occidentale face aux crimes israéliens, souvent sur fond de passé colonial, des pays du Sud se rebellent et tentent de défendre les valeurs universelles et le droit international. C’est notamment le cas de l’Afrique du Sud, qui a saisi la Cour internationale de justice à La Haye dans un processus révélateur d’un «renversement du monde», incarnant la défense des principes que l’Occident a longtemps revendiqués.

Enfin, Edwy Plenel démonte le mensonge de Netanyahou et ses alliés en France et en Europe, qui cherchent à faire passer la guerre d’extermination à Gaza pour un affrontement entre civilisation et barbarie, une guerre où une prétendue «civilisation judéo-chrétienne» devrait l’emporter à tout prix. Il rappelle la longue histoire de l’antisémitisme chrétien, les conséquences des précédentes tentatives de hiérarchisation des civilisations et leurs ravages, et met en garde contre une barbarie qui menace en fait nos propres États et sociétés, témoins silencieux de l’horreur infligée aux Gazaouis. Une horreur et un silence qui, sans sursaut moral et sans volonté politique d’y faire face, ne conduiront qu’à l’abîme.

Palestine, notre blessure, Edwy Plenel, La Découverte, 2025, 160p.

Ziad Majed

Article paru dans l'Orient Littéraire, Avril 2025