Dans un monde qui connait depuis des décennies la montée d’un populisme ultranationaliste, xénophobe et réactionnaire, les démocraties européennes peinent de plus en plus à se démarquer.
Témoins (et parfois complices) d’une normalisation des droites extrêmes, en quête de transformer l’Europe en une forteresse blanche repoussant l’immigration et rejetant le métissage et la diversité, les gouvernements et les instances à Bruxelles, à Rome, à Paris, ou même à Berlin tardent à réagir. Ils persistent dans leurs obsessions de croissance et d’échanges économiques, au détriment des grandes questions politiques et sociétales. Les forces progressistes quant à elles, fragmentées et incapables de transformer les mobilisations et oppositions nécessaires en conquête du pouvoir, sont en net recul, malgré certains sursauts électoraux.
La pandémie et ses lourdes conséquences ont aggravé cette situation et fragilisé d’avantage la confiance d’une grande partie des citoyens en leurs institutions, élites et représentants, tout en amplifiant les inégalités sociales, raciales et territoriales.
A tout cela se sont ajoutées depuis février 2022 l’anxiété et l’angoisse causées par l’invasion russe de l’Ukraine et le déclenchement de la guerre sur le sol européen. Les démons d’un passé pas si lointain semblent être, dans plusieurs pays, de retour.
C’est dans ce contexte européen et international tendu et opprimant que les élections présidentielles se sont tenues en France le mois dernier, précédées par des campagnes politiques et médiatiques très violentes et connaissant une abstention record (la plus importante depuis cinquante ans).
Trois blocs et un vote utile
Le paysage dessiné par les résultats de ces élections a montré trois blocs qui dominent l’échiquier politique français. Un bloc d’extrême droite et de droite nationaliste, recueillant 35% des voix ; un bloc de centre droit et de droite républicaine obtenant 33% ; et un bloc de gauche, d’écologistes et d’extrême gauche rassemblant 32% des électeurs.
L’omniprésence ces dernières années du discours raciste décomplexé sur les plateaux de télévision, les déclarations irresponsables et formules démagogiques répétées par certains ministres ou députés de la majorité parlementaire du président Macron, les difficultés de la vie quotidienne durant et après la pandémie et les crispations identitaires cherchant des boucs émissaires ont contribué à ce résultat. L’extrême droite a progressé presque dans toutes les régions et s’est installée dans la durée sur la scène politique française en tant que première force de contestation.
Le président réélu peut remercier « un front républicain » (constitué surtout des électeurs de gauche) qui s’est mobilisé lors du deuxième tour pour faire barrage à Madame Le Pen. Le vote utile de ce front lui a offert la victoire, mais ne l’a pas éloigné du bord de l’abîme. Car si Monsieur Macron ne modifie pas ses priorités et choix économiques durant son second mandat, s’il ne change pas le mode de gouvernance très centralisé (et largement contesté), son nouveau quinquennat connaîtra sans doute une succession de tensions et de turbulences. La conjonction inouïe de crises externes (guerre, dérèglements économiques, catastrophe climatique) et internes (pouvoir d’achat, emplois, retraites, système de santé, etc.), le mettront sous pression permanente. Son salut ne pourra donc venir que d’une revitalisation de la vie démocratique, d’une sérieuse réforme des institutions et d’une amélioration des conditions de vie des classes populaires et moyennes (par le biais d’une fiscalité qui n’offrent plus de « cadeaux » aux grosses fortunes). Mais ce salut ne viendra pas non plus, sans un combat ferme contre les différentes formes de racisme et de discrimination qui polluent la vie et le débat publics en France.Les prochaines élections parlementaires, prévues en juin 2022, constitueront un test pour le président. L’obtention d’une grande majorité au sein de l’Assemblée nationale ne lui est pas encore acquise, et la lutte entre les trois blocs d’extrême droite, de droite et du centre droit, et de gauche sera sans doute féroce.
La France entame ainsi une nouvelle phase de son
histoire, peut être celle de la transition vers une sixième république, car la
cinquième est à bout de souffle. Elle a été sauvée de justesse en 2022 par un
vote rejetant l’extrême droite. Mais il n’y a aucune certitude, si rien n’est
fait, que ce vote se reproduise, ou même soit suffisant, en 2027…
Ziad Majed
Article publié dans l'Orient Littéraire