Après
tant et tant de villes et de villages en Syrie, la Ghouta orientale, aux portes
de Damas, subit un implacable siège et de furieux bombardements, y compris avec
des armes non-conventionnelles, ne laissant aux 350.000 habitants qui y
résident toujours que ce choix, clairement exprimé par le régime de Bachar
al-Assad et ses protecteurs russes et iraniens : mourir ou partir.
Mais partir
où, sinon vers d’autres localités aussi ravagées, où ils seront de nouveau à la
merci des barils d’explosifs, à l’instar des millions de Syriens démunis qui
les ont précédés après avoir été sommés comme eux de choisir entre la mort et
la déportation.
Partir
pourquoi, sinon pour qu’ils soient dépossédés du peu qu’ils possèdent et
humiliés, et que s’installe à leur place une population de rechange, une
colonie étrangère et/ou docile. Ainsi serait achevée la vaste opération de
« nettoyage » confessionnel et/ou social à laquelle on assiste
depuis quelques années, de Homs à Alep en passant par la Ghouta occidentale,
afin que la dynastie des Assad soit en mesure de gouverner éternellement la
Syrie dite « utile ».
Or la
« communauté internationale » semble résignée à ce scenario
monstrueux. Les lignes rouges qu’elle a tracées, interdisant l’usage des armes
chimiques, sont allégrement franchies sans qu’elle s’en émeuve. Les résolutions
du Conseil de sécurité, adoptées pourtant au prix de concessions faites à la
Russie et à la Chine pour éviter leurs vétos, sont violées aussitôt votées. Le
lendemain même de l’adoption de la dernière, l’offensive contre la Ghouta s’est
poursuivie sous un flot de déclarations mensongères, et les aviations syrienne
et russe s’acharnent depuis lors à détruire ce qui ne l’a pas encore été, visant
en particulier les hôpitaux et les dispensaires, les écoles et les marchés,
afin de rendre toute vie impossible. Et force est de constater que toutes les
puissances régionales et internationales prétendument « amis du peuple
syrien » ferment les yeux avec le désir profond de ne pas voir. On a pu
même entendre de hauts responsables politiques en France, et ailleurs en Europe,
non pas exiger la levée du siège, l’arrêt des bombardements et l’acheminement
de l’aide humanitaire, mais appeler à évacuer les civils, feignant d’oublier
que c’est le but ultime des agresseurs et que la population s’y oppose avec une
admirable détermination.
Cela va
faire sept ans que le régime de Bachar al-Assad, sous l’aile protectrice de
l’Iran et de la Russie, multiplie les crimes de guerre et les crimes contre
l’humanité, tous abondamment documentés : torture, viol des femmes dans
les prisons, liquidation des détenus par milliers, blocus et pilonnage systématique
de cibles civiles dans les zones qui échappent à son contrôle. Et cela fait
sept ans qu’il bénéficie sous différents prétextes d’une choquante impunité. On
en a fait un allié contre le terrorisme alors que tous les services de
renseignement dans le monde savent pertinemment qu’il en est l’un des grands
parrains. On l’a traité de laïque alors qu’il est fondé sur le communautarisme.
Certains, de l’extrême droite à l’extrême gauche, sont séduits par son « souverainisme »,
lui qui a livré la Syrie, mains et pieds
liés, à l’Iran et à la Russie. Parmi ceux-là se recrutent d’ailleurs les conspirationnistes
les plus fantasques, les négationnistes les plus obtus, convaincus que les
millions de vidéos qui dénoncent les atrocités du régime ont été filmées dans
des studios appartenant à la CIA. D’autres
justifient leur mansuétude par leur souci de la continuité de l’Etat syrien
comme si cet Etat en était un, et non la propriété privée d’un clan. Quant aux adeptes de la realpolitik,
qui prônent le dialogue avec Bachar al-Assad comme un pas inévitable vers une
solution raisonnable de la question syrienne, ils devraient se rappeler qu’il
les a toujours floués, comme son père avant lui. Les voir demander tantôt à la
Russie tantôt à l’Iran, les deux puissances qui occupent la Syrie et sont
conjointement et directement responsables des crimes qui y sont commis, de
modérer leur protégé fait rire – ou pleurer.
Il est
illusoire de croire qu’une véritable paix civile pourrait s’instaurer en Syrie
tant que perdure l’occupation russo-iranienne et tant que les bourreaux ne sont
pas punis. Illusoire de penser que tout sera réglé, la réconciliation
nationale, la reconstruction de l’infrastructure économique, la question kurde,
le retour des réfugiés, une fois la Syrie devenue « la Tchétchénie du
Proche-Orient ». Illusoire surtout d’imaginer qu’avec la victoire annoncée
de l’axe Moscou – Téhéran - Damas les jeux sont faits une fois pour toutes.
Notre
monde cruel n’en a pas fini avec la Syrie.
Subhi Hadidi, Ziad Majed, Farouk Mardam Bey