Rupture puis normalisation
Le premier temps s’étend de 1946 à 1976. Il est marqué par des
tensions puis par une rupture en 1956 suite à la crise du canal de Suez. Les
relations entre les deux capitales ne reprennent qu’en 1962, à la fin de la
guerre d’Algérie et resteront froides jusqu’au milieu des années 1970. Sur
l’agenda de Damas, sont à l’ordre
du jour (et de la propagande) le nationalisme arabe, le discours « anticolonial »
et la dénonciation des politiques mandataires de la France qui avaient détaché
le sandjak d’Alexandrette (et le
Liban) de la « patrie syrienne ». Du côté français, la méfiance et l’inquiétude
sont de mise vis-à-vis d’une Syrie « arabe musulmane et puis
socialiste » par opposition à son voisin Libanais «chrétien et occidentalisé».
A partir du
coup d’État de Hafez Assad en 1970, cette configuration évolue avant de changer
radicalement marquant le début du second temps.
Assad
intervient dans les dossiers régionaux pour occulter les questions relatives à
l’intérieur du pays, et pour asseoir sur le plan international sa capacité de nuisance
comme de stabilisation dans le Moyen-Orient. La Syrie devient incontournable
pour les gouvernements successifs à Paris.
Assad et la politique du « pays tiers »
Entre les deux pays s’installe alors une relation sous forme
rarement bilatérale. Elle se tisse souvent autour d’un pays tiers : le
Liban de la guerre civile que l’armée syrienne envahit et occupe à partir de
1976, le conflit israélo-arabe et la cause palestinienne que Damas essaye d’instrumentaliser,
ou l’Iran isolé après 1979, dont le seul allié reste la Syrie.
Assad offre à la France, à travers son rôle régional
central, la possibilité de s’imposer sur ces dossiers importants. En retour, il
obtient une reconnaissance qui renforce son régime de tyrannie, et une ouverture
de portes sur l’Europe, voire sur l’Occident.
Peu à peu s’installe à Paris (à partir des années 1980)
une conviction accompagnée d’une crainte de voir le président syrien redoubler
de férocité s’il venait à être isolé. Cette conviction partagée par François
Mitterrand puis par Jacques Chirac donne de facto le loisir à Damas de choisir
les priorités dans l’agenda diplomatique. Elle octroie ainsi à Assad un rôle encore
plus central dans l’échiquier politique moyen-oriental.
Et lorsque la succession présidentielle
familiale en Syrie a lieu en 2000, Chirac (seul chef d’état occidental à se
rendre aux funérailles d’Assad père) parraine Assad fils sur la scène
internationale. Ce moment coïncide avec une entente franco-syrienne contre la
guerre américaine en Irak en 2003. Tout semble augurer d’une phase nouvelle de
la relation entre les deux capitales.
Bachar Al-Assad et la nouvelle rupture
Toutefois, les relations se
détériorent entre Paris et Damas aussitôt que Chirac appelle le jeune
président syrien à desserrer l’étau sur le Liban
dirigé par son ami Rafic Hariri. L’assassinat de ce dernier en 2005 inaugure un
troisième temps dans l’histoire des relations franco-syriennes qui se solde par
une rupture violente mettant fin à la « diplomatie du levier ».
Si Nicolas Sarkozy en 2008 renoue
avec l’ancienne politique de dialogue pour « contenir la nuisance du
régime », le déclenchement de la révolution syrienne en 2011 et la
répression féroce qui a suivi ont acté de nouveau un divorce qui se maintiendra
sous François Hollande.
L’arrivée de Macron au pouvoir et son positionnement
hésitant risque-t-il de mettre un terme à cette phase ? Rien n’est encore établi.
Par contre, ce qui est sûr c’est que la tendance politique donnant la primauté
aux « hommes forts » qui servent de gardes-frontières en Méditerranée fait son retour en France comme
en Europe. Et c’est une mauvaise nouvelle pour
les droits humains, la démocratie et le droit international.
Ziad Majed
Article paru dans l'Orient Littéraire le 1er Mars 2018.