Dans cette exposition, Farès Cachoux nous invite à découvrir plusieurs dimensions ou plusieurs versions d'une même réalité, d'une même expérience: celle des femmes que l'on tente d’invisibiliser dans des sociétés (du Golfe ou de la péninsule arabique) pourtant très voyantes et mondialisées.
L'artiste nous interpelle avec des «portraits» fascinants qui ne révèlent que les yeux des femmes en question. Sont-elles toutes les mêmes? Comment se définissent-elles en tant qu'individues dans les sociétés de consommation les plus "dynamiques" du monde quand leurs sourires, leurs rides et même leurs corps, qui constituent leurs identités, sont ainsi effacés et enveloppés dans une étoffe noire, celle-là même qui recouvre les différences et les imperfections?
On dit que «se soumettre n’est pas forcément consentir». Les femmes de Farès sont-elles toutes rebelles? Se cachent-elles véritablement derrière leurs niqabs, feignant une acceptation des hiérarchies et des divisions sociale et sexuée du travail pour s'émanciper du regard des patriarches et conservateurs religieux? Ou bien projetons-nous sur la soumission apparente de certaines d’entre elles des fantasmes et des interprétations déconnectés des faits et de leur vécu quotidien de femmes?
Nous pouvons certes nous livrer à cet exercice de questionnement, tenter de répondre à des interrogations par d'autres, remettre en cause nos certitudes face à des femmes en mouvement, avançant possiblement dans leur rôle et leur présence dans l'espace public malgré toutes les contraintes patriarcales et leur corollaire de discriminations et de domination.
Leur avenir sera-t-il à l'image de leurs sociétés, transformées en modèles de «soft power»? Ou seront-elles à nouveau des victimes collatérales de l'ouverture de leurs pays au tourisme, à la création de startups, aux compétitions sportives, aux investissements internationaux, sans pour autant que cela leur profite et leur donne accès aux affaires publiques, à la sphère politique et à leurs choix prioritaires en tant que citoyennes?
Si le pop art, la subversion, les jeux de couleurs, d’ombres et de lumières que Farès propose dans ses tableaux ne prétendent pas répondre à nos questions, mais plutôt les susciter et les nourrir, il n’en reste pas moins clair dans l’invitation qu’il nous adresse, à explorer les failles de la domination masculine, aussi arrogante et ridicule soit-elle, qui doit régulièrement être exhibée pour nous rappeler son existence. Car les «hommes dominants» de cette exposition, qu'ils soient debout (en blanc) au milieu de dizaines de femmes (habillées en noir), imposant leur épaisse moustache et leur regard ferme et sérieux, ou s'amusant à gonfler des ballons roses avec du chewing-gum, apparaissent tous comme des êtres fragiles ou simplement en colère. Aucun n'est serein, malgré le semblant et le potentiel d’autorité. Aucun n'est aussi puissant et libre qu'il ne le prétend. Le contraste est saisissant avec la plupart des femmes, qui sont en action, en réunion, en attente, parfois silencieuses (qui sait à quoi elles pensent ou rêvent ?), parfois dans des poses mystérieuses ou sensuelles.
Cette exposition
est une promenade à circonvolutions au cœur des tensions, des dissimulations,
des révélations et des non-dits. Elle renvoie des images de nous-mêmes, de nos
hésitations et de nos contradictions, mais aussi de notre rapport au monde. Un
monde changeant qui alterne progrès et régression. Pour aller de l’avant, il
nous appartient de le redécouvrir à chaque fois, en permettant à notre
curiosité et notre amusement de nous déconstruire et de nous ouvrir le champ
des possibles…
Ziad Majed
Préface du catalogue de l'exposition de Farès Cachoux à l'Institut du Monde Arabe