La coupe du monde de Football, Qatar 2022, se poursuit depuis le 20 novembre et couronnera le nouveau champion le 18 décembre. Malgré les nombreuses condamnations de l’exploitation des travailleurs étrangers dans l’émirat, légitimes mais inconsistantes avec le silence qui a régné quand la Russie a organisé sa coupe du monde en 2018 (tout en bombardant la Syrie et tuant 20 mille civils syriens en trois ans), le grand succès de l’événement est déjà acté et les appels au boycott ont échoué.
De toute façon, appeler à boycotter les grandes compétitions sportives en général et de football en particulier n’a jamais abouti ou réussi. Car quels passionnés du jeu pourraient boycotter l’événement le plus attendu (et le plus financé et sponsorisé) de la planète ? Comment se passer de l’une des rares sources d’euphorie et de bonheur qui « ressuscite » l’enfance et crée les émotions les plus intenses chez des milliards de personnes pendant presqu’un mois ?
Toutefois, si le boycott n’est pas une solution, la question éthique et juridique des droits fondamentaux des travailleurs ne doit en aucun cas être occultée. La pression des organisations des droits humains doit se poursuivre pour faire bouger les lois et pratiques, pour que les stades demeurent durant le mondial, des temples d’un innocent bonheur cosmique, d’embrassades entre inconnus réunis et égaux pendant 90 minutes.
Le football reste quant à lui « non-boycottable » surtout pour ce qui fait son exceptionnalité, voire son essence même : la beauté du jeu et la charge émotionnelle la plus puissante possible qu’il offre à ses amateurs et amatrices où qu’ils se trouvent.
Le sport du ratage et de l’attente universel
Le football procure un immense plaisir, mais aussi des inquiétudes et des tensions partagées jusqu’au bout d’une rencontre, d’une attaque, d’une trajectoire d’un ballon ou d’un drible magique. Il impose à des hommes et femmes dans le stade ou derrière les postes de télévision la même attente et leur permet de célébrer des buts à des moments de folie toujours différents et souvent surprenants, même si espérés. Il les fait « souffrir » avant la délivrance, exulter de joie ou exploser d’une colère éphémère, dans l’attente d’une nouvelle rencontre.
Tout cela sans jamais effacer des différences dans les appréciations, car il n’y a pas deux personnes qui regardent un match ou le racontent de la même manière. Les interprétations du jeu, les frustrations face à un mauvais tir ou une mauvaise passe, les soupirs causés par un ratage ou une « injustice » arbitrale, l’empathie teintée d’admiration pour le gardien de but dans sa solitude, son impuissance ou ses sauvetages héroïques sont toujours vécus à des rythmes différents et exprimés selon les tempéraments des uns et des autres. Un peu à l’image des joueurs eux-mêmes, face au défi, soudés et disciplinés dans un collectif rigoureux sans pour autant sacrifier leurs libertés individuelles, leur créativité et les éclats d’humeurs quand brillent les « artistes » de leurs équipes.
Il faut dire aussi que le football est « le sport du ratage » par excellence ! Les buts, les tirs cadrés et les beaux gestes sont les rares exceptions que nous attendons tout au long des matchs, durant lesquels règnent souvent l’imperfection. A quoi servirait sinon un sport de combat, de rapidité, de technique, de concentration, d’organisation et d’improvisation si tous ses gestes étaient réussis ?
Ainsi, attendre l’exception,
souffrir pour être récompensé, et rester toujours sur sa faim est l’un des
secrets de cette « religion » universelle, dont les rituels
répétitifs n’affectent guère l’intensité des émotions et la ferveur de la
passion.
Une question de vie ou de mort ?
Dans un match, aucun scénario ne ressemble à l'autre, quand bien même le match serait rejoué. Comme du Tarab ou du Jazz pour les amateurs de musique, les possibilités et déclinaisons des mélodies que chaque concert produit sont infinies.
Le football c’est également le partage des souvenirs, des commentaires sur les jeux, des faits de jeux, ou tout simplement la narration des contextes des matches et de nos propres contextes lorsque nous les avons suivis.
Bill Shankly, légendaire
entraîneur écossais de Liverpool avait dit un jour : «Le football
n'est pas une question de vie ou de mort, c'est quelque chose de bien plus
important que cela».
On ne peut que lui donner
raison.
Article publié dans l'Orient Littéraire, décembre 2022.