La question est loin d’être simple. Comment en effet boycotter une coupe du monde de Football tant attendue par des milliards de personnes avec la joie et la passion d’un jeu qui suscite le plus d’émotions partout où il est suivi ? Comment surtout faire fi des nombreux lobbies des sponsors et de la pression de la FIFA, l’un des plus grands empires des temps modernes ?
La coupe du monde 2018, s’est donc maintenue et déroulée dans
le pays de Poutine. Comme à chaque fois, elle a produit des surprises, des
rebondissements et un superbe couronnement.
Au final, on retiendra s’il le fallait trois phénomènes révélés
lors de cette compétition.
Le triomphe de l’antijeu
Depuis 2006, le réalisme footballistique s’est consacré
comme principale philosophie de jeu chez la plupart des équipes. Moins de
créativité et de liberté et plus de discipline et de similitudes dans les
styles de jeu, empreints surtout par les expériences des championnats européens
où évoluait la majorité des joueurs des grandes sélections. En 2018, au cœur
même de ce réalisme et ses styles, on a assisté à la montée en puissance de
l’antijeu. L’objectif : déjouer l’adversaire, le frustrer et l’empêcher de
multiplier les occasions, pour au moins arracher le match nul lors de la phase
de pouls, et aller enfin aux séances de tirs aux buts au deuxième tour.
Ce réalisme et les tactiques qui en découlent, dont
l’antijeu, ont mis fin aux clivages historiques entre les écoles de football
européennes et latino-américaines et ont ôté toute saveur aux matchs, avec peu
d’occasions et de folie, mais avec de l’imprévisible de dernière minute. Car
c’est surtout au moment où la fatigue et la baisse de concentration s’abattent en
fin de match que les joueurs les plus rusés arrivent à trouver des failles chez
l’adversaire.
La surpuissance financière et sportive de deux
championnats
Le mondial en Russie a illustré la surpuissance des
championnats anglais et espagnols. Toutes les stars des équipes nationales qui
ont joué à partir des quarts de finale (mis à part le français Mbappé et le
brésilien Neymar) évoluent dans ces deux riches championnats.
Mais contrairement à 2006, 2010 et 2014, l’Angleterre a
profité cette fois de la compétitivité de son championnat pour atteindre
sereinement les demi-finales. L’Espagne a par contre sombré dès le deuxième
tour face à l’athlétisme des russes et leur antijeu, se faisant éliminer lors
de la séance de tirs aux buts. Le manque de fraicheur de ses joueurs (plus de
la moitié a eu une très longue saison avec le Real, l’Atlético, le Barça et Séville,
vu leurs matchs européens) a certes été en cause. Toutefois, c’est surtout le
conflit entre le surpuissant Real et la fédération espagnole, privant la
sélection nationale de son entraineur 48 heures avant son premier match, qui lui
a porté le coup fatal.
L’exception française
Après leur élimination en 2014 face à l’Allemagne et leur
défaite en finale de la coupe d’Europe en 2016 face au Portugal, par naïveté et
fautes de marquage, la maturité a enfin permis aux bleus de remporter la coupe du
monde. Avec ses deux étoiles, la France est ainsi devenue une nation de football.
Zidane et la génération de 1998 ne sont plus les seuls décorés.
Le plus intéressant,
c’est que la France a fait figure d’exception durant cette compétition. Exception
avant tout sportive, du point de vue de la qualité de l’encadrement et la
politique de formation de ses joueurs, presque tous formés dans l’Hexagone
avant leur départ pour les grands clubs d’Europe. Mais aussi une exception
socio-culturelle car son équipe était la plus métissée de la compétition. « Métissée »
au regard des origines des parents d’une partie des joueurs, alors que ces
derniers sont et se revendiquent français. Car nés en France ou arrivés petits,
ils ne doivent leur succès qu’à leur talent, au recrutement et à la formation nationale.
Il importe par conséquent de mettre hors sujet tout discours « africanisant »
cette équipe par racisme, ignorance ou par anti-racisme valorisant les
identités d’origine tout en occultant les éléments sportifs, culturels et
émotionnels qui construisent le socle commun (français) des joueurs.
Les bleus ont
fort justement su se tenir à l’écart de ce débat pour mener à bien leur
campagne. Ils ont su remporter le trophée sans toujours proposer du beau jeu. Pogba,
Mbappé, Umtiti, Kanté, Varane et Griezman étaient au rendez-vous pour associer
individualité, vitesse et discipline collective. Leur finale contre la
combative et belle équipe croate, fut la démonstration du football qui règne
aujourd’hui : de moins en moins esthétique et de plus en plus tactique et "efficace".
Vivement la prochaine
coupe !
Ziad Majed
Article publié dans l'Orient Littéraite, août 2018