Cela a lieu alors qu'en Europe et dans le monde, des intellectuels, des
associations citoyennes, des partis politiques et des organisations de défense
des droits de l’Homme affichent de plus en plus leur solidarité avec les Palestiniens, et réclament
des sanctions politiques et économiques contre Tel Aviv.
Paradoxalement, la situation en Palestine ne cesse de se
détériorer. Gaza est depuis plus de onze ans sous blocus, Jérusalem-Est et les
villes de la Cisjordanie sont encerclés par les colonies et les checkpoints
militaires. Les territoires palestiniens sont fragmentés et découpés par le mur
de séparation et par les autoroutes construites sur des terrains confisqués et réservées
exclusivement aux colons et aux soldats de l’occupation.
D’autre part, l'Autorité palestinienne est devenue une
structure inefficace, vieillissante et incapable de prendre des initiatives politiques.
Quant au mouvement Hamas, il se cramponne à son pouvoir à Gaza où la population
a déjà connu deux terribles guerres israéliennes en moins de 10 ans.
Pourquoi ce décalage entre résolutions et diplomatie
internationales et réalité sur le terrain ? Et pourquoi les Palestiniens
ne semblent pas être en mesure de récolter les fruits de soixante-dix ans de
luttes et de combats au moment où leur cause et leurs aspirations sont enfin
reconnues par une grande partie de la « communauté internationale »?
Impuissance et ruptures internes
La première raison, et non la moindre, est cette impuissance
face à un gouvernement israélien d’extrême droite qui agrandit obstinément ses
colonies en Cisjordanie et Jérusalem-Est dans le but d’accélérer « le
politicide » de l’entité palestinienne
souveraine et indépendante, et ce, concomitamment avec une complicité
américaine.
Le gouvernement de Netanyahou a fait voter en février 2017 une
nouvelle loi légalisant l’annexion de terres palestiniennes privées (les
non-privées étant déjà annexables ou annexées). Tel-Aviv passe ainsi de la
colonisation des territoires à leur possible annexion. À cela s’ajoute la dernière
décision du président américain Donald Trump concernant Jérusalem, ce qui crée
un processus rendant caduque la solution des deux États. Reste ainsi celle d’un
État, en l’occurrence d’apartheid, dont les architectes israéliens affichent ouvertement
le refus d’octroyer aux Palestiniens leurs droits politiques, notamment celui
du vote.
La deuxième raison est l’éclatement du mouvement national
palestinien, tant politiquement qu’au niveau territorial. Entre l’autorité et
sa base, le mouvement Fatah, et le Hamas, une guerre civile froide est toujours
en place. Elle s’est manifestée ces dernières années par des mesures de
répression mutuelle, par l’existence de deux gouvernements (tous deux faibles),
et par de nombreuses divergences sur la politique à adopter face aux Israéliens
et Américains, et sur les alliances régionales à tisser au moment des
révolutions et des contre-révolutions qui secouent le monde arabe.
Cette faillite de la gestion des affaires palestiniennes de
l’Autorité et du Hamas ne s’illustre pas seulement en Cisjordanie et à Gaza, mais
aussi à l'égard de la diaspora palestinienne, en particulier des
réfugiés dans les camps au Liban et en Syrie. Au Liban, les tensions sont
permanentes. Les réfugiés souffrent à l'intérieur et à l'extérieur des camps
des lois discriminantes à leur égard. Aucune des parties palestiniennes ne
semble en mesure d’agir sur cette situation et diminuer la pression sur les
réfugiés.
En Syrie, les conditions sont désastreuses. Le régime de
Damas a anéanti le plus grand camp de réfugiés palestiniens, le Yarmouk, au sud
de la capitale. Il a également attaqué les autres camps à Lattaquié, Homs, Alep
et Deraa.
Ses attaques se sont soldées par l’arrestation, la blessure
et la mort de milliers de Palestiniens. Des dizaines de milliers d’autres ont
été déplacés à l'intérieur de la Syrie ou ses environs (Liban et Jordanie en
particulier). Face à cette tragédie, ni l’autorité palestinienne ni les
principales organisations, dont le Hamas, n’ont pris de positions ou de mesures.
Ce qui a fini de creuser davantage le fossé entre les réfugiés,
l’« Autorité » et les mouvements politiques perçus comme incapables,
absents ou indifférents à leur sort.
Une nouvelle génération ?
Reste-t-il une lueur d’espoir au milieu de tous ces
drames ? Il est difficile de voir des développements positifs
prochainement sur les plans politiques ou sur le terrain, tant les deux
scénarios de deux États et d’un seul, démocratique, s’éloignent, malgré les
changements au sein de l’opinion publique internationale et les reconnaissances
par des dizaines d’États de la Palestine évoqués supra.
Les Palestiniens ne sortiront probablement pas du paradoxe
actuel qu'en encourageant l'émergence d'une nouvelle génération de dirigeants
capable de redéfinir les priorités de leur lutte et de leur projet national.
En parallèle, la bataille pour une solution avec un « minimum
de justice », doit être menée dans les grandes capitales occidentales, qui
sans sanctions et pressions sur Tel-Aviv, exactement comme ce fut le cas contre
le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud dans les années 1980 et 1990, ne
pourront pas faire bouger les choses.
« Le but de l’occupation est non seulement de s’emparer
des territoires mais aussi de briser les âmes », écrivait la romancière canadienne
Madeleine Thien dans l’excellent ouvrage collectif sur la Palestine Un Royaume
d’olives et de cendres (Robert Laffont, 2017). On ne peut mieux résumer la
politique israélienne dans les territoires occupés. Reste à pouvoir résumer un
jour la politique palestinienne et celle des amis de la Palestine face à cette occupation…
Ziad Majed