« Dans
l’imaginaire occidental, le loup est le représentant par excellence de l’autre
naturel, sauvage et menaçant. Au cours de l’histoire, notre incapacité à
dominer les loups leur a conféré une dimension mythique qui s’est frayé un
chemin dans la culture populaire, et lentement mais sûrement, a éclipsé la
description plus objective qu’en faisaient les naturalistes ».
C’est à partir
de ce postulat que l’anthropologue libano-australien Ghassan Hage établit dans son
essai[1] plus d’une analogie entre la figure du « Loup » et
celle « fantasmée » et mondialisée du « musulman »
aujourd’hui. En présentant le racisme comme « pensée et pratique visant à
problématiser, exclure, marginaliser, discriminer, précariser, exploiter, criminaliser,
terroriser, nourrir des fantasmes d’extermination contre un groupe de personnes
identifiées, que l’on imagine partager un trait déterminant commun et hérité »,
il considère que les pratiques et opinions antimusulmanes se sont avérées la
forme dominante du racisme des deux dernières décennies.
Racisme,
écologie et spécisme
Pour Hage, ce
racisme est étroitement lié à la crise écologique contemporaine. Il renforce et
reproduit la domination des structures sociales de base qui l’ont engendrée, et
qui sont celles mêmes de sa propre production. De plus, ce racisme s’articule
dans un rapprochement entre la description de déchets plastiques flottants (non
recyclables) et celle des demandeurs d’asiles sur les mêmes océans (vers
l’Australie) ou sur la mer méditerranée (vers l’Europe). C’est donc par le
biais d’un imaginaire du réfugié/musulman comme «déchet ingouvernable»
que «l’islamophobie établit un lien clair avec la crise écologique
actuelle».
En outre le
racisme est également lié au spécisme. Non seulement car la domination est leur
trait commun le plus saillant, mais aussi du fait que leurs métaphores allient
catégories racialisées et animaux (noirs et singes, juifs et serpents,
musulmans et cafards puis loups).
Ce qui importe
selon Hage face à ce racisme n’est pas de pointer sa déficience et ses erreurs
empiriques, mais d’étudier ce qu’il révèle de la réalité de ses acteurs
principaux et leur comportement.
L’islamophobie
et le devenir-loup
Pour
entreprendre cette étude, l’anthropologue organise son essai autour de trois
chapitres/thèmes. Dans le premier, intitulé « l’Islamophobie et le
devenir-Loup de l’Autre Musulman », il rappelle que le musulman/arabe
était pour le colonisateur européen ce que le porc est pour les juifs et les
musulmans : polluant et inexploitable. Il était donc à l’origine « cafard »
car moins dangereux que le « serpent juif ». Sauf que depuis des
années il a évolué pour devenir incontrôlable, non intégrable, effrayant, « comme
le loup ».
Dans le deuxième
chapitre, « l’islamophobie et la dynamique de surexploitation écologique
et coloniale », Hage démontre pourquoi des racistes (en occident) qui ont
accumulé des richesses et surexploité les ressources de la planète ont peur du « loup ».
C’est parce qu’ils craignent ce qu’ils appellent « l’inversion coloniale »,
selon laquelle l’étranger, l’ancien dominé, le musulman, puisse les envahir. Il
est partout mais, comme le loup, il leur échappe. Il les met face à leurs
vulnérabilités et aux limites de leur « pouvoir souverain ».
Dans le troisième
chapitre, Hage explore la « domestication généralisée » et l’inscrit
dans le cadre du fantasme patriarcal confortable de contrôle, d’extraction et
d’exploitation. C’est ici que s’articule l’alliance entre le dominant qui s’approprie
la « nature » pour se sentir chez lui partout, et celui qui
racialise, domine et contrôle « l’autre musulman » afin de se sentir
chez lui dans sa nation.
Mutualisme et
pluralisme comme alternatifs
Que faire alors
pour affronter cette crise humaine et écologique mondiale qui réduit les
potentiels d’évolution de la biosphère et qui assaille surtout l’étranger (incarné
par le musulman), le dominé et les femmes ?
Ghassan Hage
propose un mutualisme, une défense du pluralisme, et un agencement de relations
bénéfiques entre des différentes formes de vie. Une tache nécessitant des
alliances entre antiracistes, écologistes et féministes pour enfin « produire
une augmentation de la puissance partagée, au détriment des relations qui produisent
de l’impuissance partagée »…
Ziad Majed
Article paru dans l'Orient Littéraire, Janvier 2018
[1] Ghassan Hage, Le loup et le musulman, traduit de l’anglais (titre original : Le racisme est-il une menace écologique ?) par Lucie Blanchard, Postface de Baptiste Morizot, Editions Wildproject, France 2017, 144 p.