Des chefs de diplomatie de
« grandes » nations occidentales évoquent aujourd’hui la possibilité
de normaliser avec Bachar Al-Assad pour lutter contre le « terrorisme ».
Ce positionnement intervient après 4 ans et 6 mois d’inaction internationale et
de pourrissement de la situation, qui ont favorisé l’émergence depuis avril
2013 de l’Etat Islamique. Dans les faits, le bilan est extrêmement lourd :
plus de 250 mille morts, de 250 mille disparus et détenus, de 11 millions de
déplacés – dont 4,5 millions à l’extérieur de la Syrie.
Ce choix politique indécent de traiter avec
Assad est voué à l’échec pour de multiples raisons. Pour rappel, trois
« réalités syriennes » illustrent l’impasse dans laquelle se
fourvoient les occidentaux.
Qui tue qui en Syrie ?
Les derniers rapports de plusieurs
organisations syriennes et internationales, confirment – statistiques
détaillées à l’appui - ce qui est largement connu par tous ceux qui suivent le
calvaire syrien : le régime Assad est responsable de la mort de plus de
90% des victimes civiles. Il est également à l’origine du déplacement de la
grande majorité des réfugiés qui fuient ses barils explosifs. Il est enfin coupable
de la montée en puissance des groupes nihilistes du fait de la destruction de
toute forme de citoyenneté et d’espaces propices à la construction de l’acte
politique.
La question que posent des syriens
aujourd’hui est : Comment peut-on justifier une alliance avec un tueur de masse
pour combattre d’autres criminels qui sont arrivés bien après ses massacres, et
souvent à cause d’eux ? Question légitime et pertinente car elle affirme que
toute alliance externe avec le régime contre Daech profiterait probablement à
ce dernier et mobiliserait peu de syriens.
Est-ce vrai qu’Assad a les moyens de
combattre Daech ?
Certains occidentaux prétendent que l’alliance
avec Assad pour combattre Daech est une option pragmatique. Ils ne contestent
pas le caractère criminel et despotique d’Assad, mais ils estiment que Daech
est la barbarie absolue, et la vaincre est l’ultime priorité.
Si l’on écarte les aspects éthiques de ce
raisonnement (à savoir qu’Assad est de loin plus criminel que Daech) et le peu
de respect qu’il manifeste aux syriens, cet argument n’a rien de pragmatique.
Même s’il était de bonne foi, il n’est en réalité qu’un mélange de naïveté et
d’ignorance, car Assad ne contrôle aujourd’hui que 20% du pays, et ce grâce aux
milliards de dollars et aux livraisons d’armes en provenance de la Russie et de
l’Iran. Il reconnait lui-même qu’il a un problème de ressources humaines et
qu’il compte de plus en plus sur les milliers de combattants du Hezbollah
libanais, des milices chiites iraquiennes et afghanes. De plus il a perdu toutes
les batailles que Daech a menées contre ses troupes (Palmyre étant la dernière).
A contrario, Daech n’a vaincu ni l’opposition bombardée par Assad, ni les
kurdes soutenus par les occidentaux. En clair, Assad est l’acteur le moins
performant militairement en Syrie aujourd’hui, et l’arrivée des troupes russes
n’en est qu’une preuve supplémentaire.
Comment en finir avec le désastre
syrien ?
En conséquence, il serait illusoire
voire dangereux de croire qu’une alliance avec Assad permettrait de mettre fin
au « conflit syrien » ou même vaincre l’Etat islamique. Cette
approche prônée par des occidentaux qui consiste à préférer les
« fascistes cravatés » aux « fascistes barbus » est un
franc encouragement aux crimes contre l’humanité dans le Moyen-Orient et un
soutien ouvert à l’impunité. C’est le meilleur moyen de nourrir les
frustrations et le sentiment d’injustice qui iront conforter les tendances
jihadistes les plus radicales et favoriser le terrorisme international.
Le seul moyen de trouver une issue pour ce
conflit serait de construire une nouvelle majorité politique syrienne.
Aujourd’hui une frange regroupant une large
partie de la majorité anti-Assad ainsi qu’une très large partie de la minorité
pro-Assad estime que le combat contre Daech est une nécessité vitale, voire une
guerre de libération. Les anti-Assad considèrent que cette lutte ne peut se
faire qu’après la chute de la famille tyrannique au pouvoir depuis 45 ans. Cela
signerait déjà la fin de ses bombardements aériens et ses massacres qui
poussent les gens au désespoir au point de justifier parfois certains
agissements de Daech. La minorité pro-Assad prétend quant à elle défendre
encore le dictateur par crainte de voir Daech occuper tout le pays. Le seul
compromis possible entre ces deux camps serait de voir évoluer leurs positions
vers la formation d’une nouvelle majorité politique prête à combattre Daech et en
même temps à lâcher Assad.
Ainsi, une réconciliation politique
pourrait avoir lieu sur la base d’une mobilisation militaire et sociétale
commune contre Daech et la mise à l’écart d’Assad, premier criminel dans le
pays.
Sans un
processus basé sur l’équation ci-dessus (ni Bachar ni Daech), la tragédie syrienne
risque de perdurer et de produire encore plus de destruction, de réfugiés et de
crises dans le pays et dans toute la région.
Ziad Majed
Article publié dans L'Orient Littéraire du 1er Octobre 2015 (rédigé avant l'agression militaire russe)
Article publié dans L'Orient Littéraire du 1er Octobre 2015 (rédigé avant l'agression militaire russe)