vendredi 23 novembre 2012

Moyen-Orient : vers un remaniement du paysage politique ?

Le Moyen-Orient vit ces derniers jours dans un état d’ébullition qui suscite de nombreuses craintes et augure de changements conséquents dans le paysage politique de la région. En Syrie, la révolution populaire la plus importante dans l'histoire arabe contemporaine continue. Au Liban, le blocage politique persiste et les tensions montent en raison de ce qui se passe en Syrie et dans la région. En Jordanie, une explosion de colère a lieu à cause de mesures impopulaires et de la détérioration des conditions économiques. Des manifestations massives ont appelé la semaine dernière au départ du roi Abdallah. Et puis à Gaza en Palestine, une trêve vient d’entrer en vigueur après qu’Israël ait mené des raids aériens meurtriers et des opérations militaires de grande envergure. Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr

Syrie: développements politiques et poursuite de la répression et de la révolution

La situation syrienne a enregistré deux développements clés ces derniers jours.

Le premier est politique, et concerne l’accord passé entre les factions les plus importantes de l'opposition syrienne (y compris le Conseil national Syrien qui a élu comme nouveau président une figure réputée de la gauche: George Sabra) pour mettre en place une large coalition nationale représentative de la révolution. Cette coalition est destinée à former un gouvernement de transition. Elle a élu le cheikh Maaz Khatib président et l’activiste politique Souheir Attasi ainsi que l’homme d’affaires et opposant Riad Seif vice-présidents.
De nombreux pays occidentaux et arabes voient en cette coalition la représentation légitime du peuple syrien. Paris a également reconnu M. Monzer Makhous en tant que premier ambassadeur de la coalition en France.
Toutefois, pour les syriens, l’un des gages de crédibilité de ces pays se mesure à leur disposition à apporter une aide humanitaire et militaire plus importante. Cette dernière a jusque-là été dérisoire et ne comprenait pas d’armement sophistiqué ni d’équipement anti-aérien.
Washington, Paris et de nombreuses capitales européennes s’étaient jusque-là opposées à l'envoi d'armes, tandis que le Qatar, l'Arabie Saoudite, la Libye et la Turquie n’avaient fourni à ce jour que de l’armement léger et des munitions dont la puissance et la quantité sont incomparables avec ce que la Russie et l'Iran apportent au régime.
C’est ce qui a pesé dans le retard de l’échéance de la chute de ce dernier car sa force de frappe aérienne et son artillerie lourde ont dévasté les zones libérées par les révolutionnaires et ont considérablement contraint leurs mouvements et leur action.
Reste à savoir si la formation de cette coalition va infléchir la position occidentale concernant l’armement et l’appui logistique à la révolution.

Le deuxième développement se situe sur le terrain. Le manque d'armes n'a pas empêché des unités de l'armée libre et les brigades combattantes de progresser vendredi et samedi dans la région d'Abou Kamal, à l'est du pays, où elles ont pris le contrôle de l'aéroport militaire (voir vidéo) :


Elles ont également pu s’introduire dans plusieurs villages frontaliers avec la Turquie et contrôlent toujours toutes les régions libérées ces derniers mois malgré les intenses bombardements aériens et les offensives de l'armée du régime, notamment à Alep, Deir al-Zour,  Idlib, Damas et ses environs.
De plus, vendredi dernier a vu défiler 431 manifestations à travers le pays durant lesquelles des banderoles soutenant la coalition des forces de l’opposition et demandant l’armement de l’ASL ont été déployées. De nombreuses pancartes de solidarité avec le martyre que vit Gaza ont été également portées. 

Solidarité de Homs assiégée avec Gaza résistante.
Pendant que le bilan macabre ne cesse de s’alourdir avec plus de 40.000 morts (voir carte) dont 3386 enfants et plus de deux millions de blessés, détenus,  réfugiés et déplacés, la posture internationale post-réélection de Obama face aux crimes et massacres semble passive. Les syriens se préparent à endurer un hiver des plus durs malgré la mobilisation des volontaires au péril de leurs vies et avec des risques d’arrestations comme cela a été le cas récemment pour des activistes associatifs et des volontaires du croissant rouge syrien…

Les victimes et leur répartition par région et catégorie

Liban: Une crise politique sur fond de tension chiite-sunnite croissante

La crise politique se poursuit au Liban entre une opposition (dirigé par Saad Hariri) qui réclame suite à l’assassinat de Wissam Al- Hassan, la démission du gouvernement Mikati (voir notre article précédent) accusé de négligence et d’allégeance au régime syrien, et le Hezbollah et ses alliés protecteurs et participants au gouvernement. Cette situation produit un blocage politique d’autant que le dialogue national prôné par le président de la république Michel Sleiman ne suscite toujours pas l’adhésion de l’opposition. Les répercussions sécuritaires en sont le corolaire puisque pour la première fois, la ville de Saïda, troisième ville du pays et porte du Sud Liban a connu des affrontements entre des partisans chiites du Hezbollah et des jeunes sunnites proches du cheikh salafiste Ahmad Al Assir. Ces derniers s’élevaient contre les slogans et enseignes confessionnels déployés dans la ville par le Hezbollah.  Ces troubles à Saïda sont consécutifs à des tensions à Beyrouth, à Tripoli où le caractère sunnite et alaouite ainsi que les souvenirs de la guerre civile créent des lignes de démarcation au sein même de la ville (et évoquent certains clivages propres à la Syrie).

Saïda - déploiement de l’armée libanaise pour contrôler la situation
Au même moment, l'évidence croissante de la participation des combattants du Hezbollah dans les combats au côté du régime syrien fait débat. Le parti a récemment organisé les funérailles d’un  de ses combattants dans la ville de Nabatiyeh, dans le sud. En outre de nombreux libanais vivent dans l’inquiétude et l’expectative des développements sur le front Israélo-américano-iranien. Ils appréhendent notamment de se voir embarqués dans une guerre si Israël décidait d’attaquer le Hezbollah en prévision d'une confrontation avec l'Iran, ou si le Hezbollah s’engageait dans la guerre et le pays avec, en soutien à l’Iran qui l’arme et le finance.

Jordanie : Entre manifestations, colère sociale et conjecture politique

La Jordanie a connu la semaine dernière une série de manifestations dans plusieurs villes dont la capitale Amman. Ces manifestations ont été déclenchées par la hausse des prix des carburants décrétée par le gouvernement.  Avec l’arrivée de l’hiver, cette décision pesant très lourdement sur les budgets modestes, l’explosion de colère était inévitable. Selon des journalistes jordaniens et des activistes des Droits de l’Homme, les manifestations étaient spontanées et comptaient une participation populaire importante. Cependant, c’est bien la première fois que des slogans politiques radicaux ont été scandés demandant au roi d’opérer des réformes ou sinon de quitter le pouvoir. Autrefois les contestations se limitaient à la demande de la chute du gouvernement et l’annulation des mesures. Cette semaine, elles sont allées plus loin et se sont même inspirées de certains slogans de la révolution syrienne sur la thématique de la liberté. Cette nouveauté fait suite à la démission le mois dernier du chef du gouvernement Fayez Tarawneh après à la dissolution du parlement par le roi et la préparation de nouvelles élections législatives qui divisent les jordaniens. Les frères musulmans du Front d’action islamique (premier parti  d’opposition) ont décidé de les boycotter. Selon eux, le découpage électoral est conçu pour affaiblir les formations politiques au bénéfice de formations tribales loyales au roi Abdallah. De plus, il marginalise les jordaniens d’origine palestinienne (environ 55% de la population) en consacrant un nombre de sièges dans les circonscriptions où vit leur majorité, en particulier dans la capitale Amman, qui ne respecte pas les proportions démographiques.

Colère à Amman
La mobilisation populaire n’a pas encore de leadership, surtout que la plupart des partis d'opposition et ses personnalités temporisent toute implication directe par crainte d’une récupération et instrumentalisation de la part du Front d'action islamique. Ce qui par conséquent donne jusqu’à maintenant lieu à un mouvement « spontané » dont la récupération ou non par les frères musulmans dépendra de la façon dont le roi et son gouvernement géreront la crise dans les prochains jours.

Gaza: Entre élections, bombardements et repositionnement régional

Après les élections américaines et la reconduction du mandat d’Obama, à la veille des élections israéliennes pour lesquelles la coalition du Likoud et Israël Beitenou (droite et extrême droite de Netanyahou et Lieberman) est donnée en première position, et avant le retour de Mahmoud Abbas aux Nations-Unies pour demander la reconnaissance d’un Etat palestinien, ce qui ressemblait à des accrochages routiniers entre groupes palestiniens et armée israélienne s’est transformé pendant une semaine en opération militaire d’envergure à Gaza. Des raids aériens ont été menés par l’aviation israélienne faisant de nombreuses victimes (130 dont 28 enfants) tandis que des roquettes ont été tirées du côté palestinien atteignant pour la première fois les environs de Tel-Aviv et de Jérusalem Ouest (faisant 4 morts).
Cette escalade, s’est produite toutefois dans un contexte régional particulier dans la mesure où elle a lieu après les révolutions arabes, notamment celle de l’Egypte grand voisin de Gaza. La nouvelle alliance politique du mouvement Hamas avec l’Egypte des frères musulmans (après sa rupture avec le régime de Damas suite à la révolution syrienne) a créé une situation inédite. La gestion politique par les frères musulmans égyptiens de la « crise » fut selon les observateurs égyptiens un succès diplomatique qui va préfigurer des nouvelles politiques régionales prônées par les pays gouvernés ou influencés par les frères musulmans tels que la Turquie, la Tunisie et l’Egypte comprise. Tandis que l’Arabie Saoudite a observé avec prudence les développements, le Qatar a quant à lui soutenu la politique du Caire.

Pour Mohamed Morsi, c’était une épreuve de vérité que de ménager dans le même temps les relations avec les Etats-Unis (principale aide économique depuis la signature des accords de Camp David en 1978), et la colère égyptienne en soutien au Hamas. Une délégation égyptienne a été envoyée à Gaza à la fois pour afficher ouvertement son appui  aux palestiniens tout en les incitant en privé à calmer le jeu. Il en a été de même pour Erdogan (dépêchant une délégation au Caire) dont le pays est membre de l’Otan, et qui ne ménage pas son langage diplomatique depuis les « évènements » de la flottille en 2010 ayant mené au meurtre de plusieurs activistes turques par l’armée israélienne.

Jeunes égyptiens au passage de Rafah en route vers Gaza pour exprimer leur soutien aux Palestiniens.
Le fait que la trêve négociée par l’Egypte ait été acceptée et respectée (jusqu’à nouvel ordre) par les israéliens et les palestiniens, consacre aux égyptiens une certaine marge de manœuvre pour aller encore plus loin dans leurs initiatives politiques et négocier la levée du blocus sur le territoire contrôlé par le Hamas.

Cependant,  la dangereuse escalade militaire à Gaza de même que son dénouement ont aussi d’autres conséquences. Ils ont contribué à affaiblir davantage l’autorité chancelante de Mahmoud Abbas devenu plus observateur qu’acteur. De plus, le devenir de la relation du Hamas avec l’Iran et le Hezbollah (après la Syrie) à la lumière du rapprochement avec l’Egypte et la Turquie est à observer de près puisque seul Téhéran a été jusque-là en mesure de fournir de l’armement aux palestiniens. Si à présent,  le Caire venait à prendre les choses en main, cette option serait à réexaminer.

Par ailleurs, l’acharnement militaire de la politique israélienne et le désintérêt américain (et international) n’ont produit au cours de la dernière décennie qu’une généralisation de la dévastation et pire encore, ils s’accompagnent d’une progression incessante des colonies dans les territoires occupés qui rendraient tout projet de mise en place d’un Etat viable presqu’impossible à réaliser sur le terrain.  

Le moyen Orient est plus que jamais sur une poudrière à plus d’un endroit. Si le calme revient par moment, ce n’est que temporaire car aussi longtemps que la légitimité internationale à l'égard de la Palestine n’est pas respectée, que le régime Assad reste en place, que des réformes sérieuses et profondes ne sont pas entreprises en Jordanie et au Liban, sans compter les surenchères régionales interminables dont le dossier nucléaire iranien fait partie, il n'y a pas grand espoir de stabiliser et pacifier durablement la région.