Sa sortie a été ardemment attendue et pour cause. Les fuites
savamment orchestrées et les tentatives multiples de Trump de bloquer sa parution,
auguraient d’un contenu explosif et de récits alléchants et prometteurs pour les lecteurs curieux.
Ainsi, on découvre à travers les témoignages de Bolton, un président
qui ne fait confiance qu’à ses amis et proches, dont les avis sont une source
majeure pour forger son opinion, voire décider d’orientations politiques
d’importance. Il s’ennuie ou monopolise la parole durant les séances de briefing
avec ses conseillers chargés de l’informer des dossiers dont il ne maîtrise
aucun détail.
On mesure avec effarement la limite phénoménale des connaissances
géopolitiques de cet homme, le plus puissant du monde. Il confond les pays
Baltes avec les Balkans. Il s’étonne que la Finlande soit un état indépendant et
apprend lors de son entretien avec l’ancienne cheffe de cabinet britannique que
le Royaume Uni est une puissance nucléaire. Il considère en outre l’Europe comme
une entité «pire que la Chine, mais en plus petit».
Les comptes-rendus de ses réunions révèlent son obsession liée
à sa réélection, et la manière dont il élabore ses priorités politiques
internes comme externes en fonction des vœux de sa base électorale. Plus loin,
on prend connaissance de récits de scènes totalement absurdes qui dévoilent la
capacité de Poutine à le manipuler (sur le Venezuela par exemple). Les échanges
avec le président chinois sont encore plus surréalistes puisqu’il y évoque une «pression
des américains» pour modifier la constitution afin de lui permettre de
briguer un troisième mandat. En outre, on réalise un peu coi, la légèreté avec
laquelle il exprime son soutien aux camps de concentration mis en place par Beijing
pour y entasser (et torturer) des centaines de milliers de ses citoyens
musulmans ouïgours. Quant à son rapport à certains leaders européens, on
découvre sans surprise sa farouche hostilité à la chancelière allemande Merkel,
au président français Macron, mais aussi aux institutions européennes et
internationales ainsi qu’à l’alliance nord atlantique (de laquelle il voulait
se retirer).
La liste des bourdes, des provocations, des humeurs
infantiles, des mauvaises décisions et des agissements dangereux est longue. Elle
n’a cessé de s’allonger depuis de départ de Bolton. Preuve en est, la
désastreuse gestion au bureau ovale du Covid-19, combinée à l’actuelle crise
économique et aux ignobles réactions face à la nouvelle explosion de la
question raciale aux États Unis. Ces dossiers en disent long sur l’incompétence
avérée d’un président toujours plus irresponsable.
Si le livre extrêmement critique et racoleur apporte une
meilleure connaissance du personnage pulsionnel et imprévisible de Trump, de
son entourage proche, il n’offre cependant que peu de substance politique et analytique.
Dans ce sens, l’ouvrage est à l’image de son auteur : un homme assoiffé de
pouvoir et d’autorité, dont la longue carrière dans les administrations Reagan
et surtout G. W. Bush rappelle l’arrogance, le réactionnisme et le
mépris du droit international, des valeurs universelles et des résolutions
onusiennes. Ses critiques sur l’absence de considérations humanistes de Trump s’agissant
de la Syrie et de la Chine, sont aussi peu crédibles que les proclamations du
président à l’innocence dans les affaires de favoritisme et d’opportunisme
électoral.
D’une certaine façon, le livre s’inscrit donc dans l’air du
temps aux Etats Unis et dans le monde, car il illustre parfaitement les
conséquences de la montée fulgurante du populisme et de l’extrême droite. Plus
inquiétant encore, il montre l’ampleur des risques résultant de la haine des
élites, des institutions, et de l’establishment en général. Cette haine ouvre
grande la porte du pouvoir à des acteurs peu instruits, peu ou pas familier à
la chose politique et dont les égos démesurés font craindre plus de dérives
autoritaires et de clivages dans les sociétés.
«The room where it happened» est de ce fait un
récit intime du leadership de l’homme providentiel, du concept de la téléréalité
en politique et de la fascination de la puissance de l’argent. Il met à nu le
règne de plus en plus banalisé de la vulgaire virilité, de la xénophobie
décomplexée, et de la culture du show business et du spectacle.
Enfin, certains se demandent quel serait l’impact de la
sortie du livre sur les choix des électeurs pour la présidentielle de novembre
prochain. Les réponses semblent pour le moment mitigées. Il est probable qu’il
contribue à une plus forte mobilisation des indécis et des indépendants. Pour
ce qui est de la base fidèle à Trump et certains milieux républicains dont les
intérêts ont été préservés par l’administration actuelle, il y a très peu de
chances que les lignent bougent. D’ailleurs ces derniers ont déjà déclaré la
guerre à Bolton, le qualifiant de « traître » et de dissident «ne
cherchant que vengeance, notoriété et fortune». En cela, et en cela
seulement, ils n’ont pas tout à fait tort…
Ziad Majed
Article paru dans l'Orient Littéraire, Juillet 2020