dimanche 4 février 2018

Moyen-Orient: L'espoir de paix est mince

Avec la décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d'Israël, avec les politiques russes et iraniennes en Syrie, les perspectives de paix au Moyen-Orient s’éloignent encore.

Interview de Ziad Majed, réalisée par Marie Chaudey, le 6 décembre 2017, pour l'Atlas du Moyen-Orient 2018 publié par Le Monde et La Vie.

- Quelles peuvent être les conséquences de la décision du président américain de reconnaître Jérusalem comme la capitale d'Israël ?

Ziad Majed : Cette décision marque un changement majeur dans la politique américaine, historiquement prudente par rapport à Jérusalem. Elle viole le droit international, la résolution onusienne 242 de 1967 qui considère clairement les quartiers est de la ville comme quartiers occupés, et bafoue les principes sur lesquels est basé le processus de paix israélo-palestinien depuis 1991. Elle va mener non seulement à des violences et à des affrontements à Jérusalem et en Cisjordanie, mais aussi à de nouvelles tensions durables dans le Moyen-Orient. Cette décision de Trump renforcera le camp de Netanyahou et de l’extrême-droite israélienne dans ses rhétoriques et ses plans expansionnistes. Après que les Palestiniens aient réussi, au terme de luttes et de travail diplomatique, à gagner la reconnaissance aux Nations Unies, paradoxalement, leur situation sur le terrain n’a jamais été aussi mauvaise. Entre Gaza isolée et toujours encerclée, la Cisjordanie découpée par les colonies, le mur de séparation, les check-points de l’armée israélienne et les autoroutes des colons, Jérusalem-Est qui subit un changement démographique forcé, il est difficile d'être optimiste et espérer une paix avec le minimum de justice.

- Aucune perspective positive donc, dans le sillage de la rupture choisie par Trump ?

ZM : Si l’ambassade américaine est transférée de Tel Aviv à Jérusalem Ouest et s’il n’y a pas de normalisation diplomatique directe avec l’occupation de Jérusalem Est, il serait possible de contenir une partie des dégâts. Les Palestiniens pourraient maintenir leur demande de la reconnaissance de Jérusalem Est comme leur capitale. La bataille continuerait pour eux, mais dans des conditions plus difficiles encore.

- Entre Israël et l’Iran, les bruits de botte vont-ils s’intensifier ?

ZM : Depuis deux ans, Netanyahu veut frapper les alliés de Téhéran, et même l’Iran. Il pourrait mener une guerre contre le Hezbollah libanais sur la frontière nord, ou contre certains groupes palestiniens comme le Jihad Islamique. En revanche, il ne peut affronter directement Téhéran sans l'aide militaire et logistique des Américains. Jusqu’ici, l’état-major de l’armée israélienne a refusé des frappes contre le Hezbollah sans avoir la garantie de perspectives politiques et d'un soutien international. Mais si Obama freinait auparavant les projets des faucons israéliens, Trump peut cette fois les laisser faire, voire les encourager. Il y a donc deux terrains de guerre indirecte possible entre Israël et l’Iran : le Liban et la Syrie où sont déployés des combattants du Hezbollah et des officiers iraniens.



- Comment peut évoluer le rapport de force Téhéran/Ryad, à l'heure où l'Arabie saoudite tente de contrer la puissance iranienne ?

ZM : S’il n’advient pas un conflit militaire qui impliquerait Israël et son allié américain contre l’Iran, le rapport de force entre Téhéran et Ryad ne va pas évoluer en faveur des Saoudiens. Le prince héritier Mohamed ben Salmane a commis des erreurs stratégiques en voulant être sur tous les fronts à la fois. Il ne peut pas faire en même temps la guerre aux Frères musulmans en Egypte et en Libye, intervenir au Yémen, s’en prendre au Qatar et à la Turquie et réprimer ses adversaires à l’intérieur du royaume. Il a tenté en vain d’imposer son agenda politique au Liban - le Premier ministre Hariri a gelé la démission voulue par Ryad et repris le dialogue avec le Hezbollah par l’intermédiaire du Président Aoun. Les Saoudiens sont en retrait en Syrie, tandis que les Iraniens sont bien implantés sur place. En Irak, Ryad tente aujourd’hui de se racheter une certaine légitimité, en invitant en Arabie le Premier Ministre chiite et des dignitaires chiites et sunnites. Mais l’Iran reste de loin l’acteur régional incontournable à Bagdad.

- Comment les Iraniens s'y sont–ils imposés ?

ZM : Sous prétexte de lutte contre Daech, Téhéran s’est récemment imposé militairement et pas seulement politiquement en Irak: des milices chiites ont été formées et entrainées par les gardiens de la révolution iranienne et contrôlent aujourd’hui une grande partie du territoire irakien. Les iraniens avaient déjà profité de l’invasion américaine de 2003 en se débarrassant de leur ennemi sur place, Saddam Hussein, et en soutenant leurs alliés à Bagdad, qui étaient – paradoxalement – les alliés de Washington. Au Liban, Téhéran a aidé à la montée en puissance militaire mais aussi sociale et politique du Hezbollah depuis 1982. En Syrie ils sont les alliés des Assad depuis 1980. De plus, les iraniens peuvent compter sur la démographie en Irak, où les Chiites sont majoritaires, au Liban où le Hezbollah est la formation politico-confessionnelle la plus puissante (et la seule qui est armée). Seule la Syrie ne compte pas de chiites, elle est leur maillon faible. Mais il y reste le régime minoritaire d’Assad, d’où leur détermination à le préserver à tout prix.

- Qu'ont l'intention de faire leurs alliés russes?

ZM : En intervenant militairement en Syrie, les Russes avaient des objectifs précis : un retour sur la scène internationale comme grande puissance mondiale, la consolidation de leur base militaire méditerranéenne (à Tartous), la préservation du marché syrien pour leur industrie d’armement (Damas est le 7ème plus gros client de Moscou), et la protection d’un régime allié depuis le temps de l’Union Soviétique. Ce qui les a encouragé également c’est l’absence de fermeté occidentale – leur test avec Obama après les bombardements chimiques opérés par Assad en 2013 et l’effacement de « la ligne rouge américaine » avait été clair. L’administration Trump répète de son côté que le changement de régime à Damas n’est pas une question qui concerne les Etats-Unis. Avant l’intervention russe en septembre 2015, Assad ne contrôlait que 18% du territoire syrien. Il en contrôle désormais plus de 50%. Poutine a sauvé le dictateur de Damas en lui permettant, avec l’aide des Iraniens et des milices chiites de la région, de récupérer des zones tenues par l’opposition syrienne et par le troisième acteur du conflit, Daech. Au final, Moscou veut une solution qui préserve Assad – au moins pendant quelque temps – et permette la formation d’un nouveau gouvernement, tout en s'assurant de privilèges pour les sociétés russes dans le chantier de la reconstruction. Poutine souhaite capitaliser rapidement sur ses acquis militaires en trouvant une solution politique qu’il sponsorise, mais qu’il cherche aussi à faire approuver par les Nations Unies. Car les Russes ont peur qu’à long terme, leurs divergences possibles avec l’Iran, ainsi que le changement des paramètres américains ou israéliens, ne les affaiblissent. Mais de leur côté, les Iraniens ne sont pas pressés. Ils refuseront toute solution qui ne les impose pas comme des acteurs importants en Syrie.


- Quel avenir pour la Syrie dans ces conditions ?

ZM: Le départ de Bachar el-Assad et son entourage est indispensable à une paix durable, à une reconstruction des institutions politiques et à une restructuration des institutions sécuritaires et militaires en Syrie. Un scénario positif y ajouterait la libération des dizaines de milliers des détenus politiques dans les geôles du régime, le retour d’une partie des réfugiés et des chantiers de reconstruction des villes et villages détruits, une réconciliation nationale, une décentralisation administrative qui permettrait plus d’autonomie à la région kurde, et bien sûr une dissolution des milices qui pullulent sur le territoire. Sans oublier la lutte contre Daech, qui, en principe, n’a plus d’espoir de maintenir un contrôle territorial mais pourrait se transformer en cellules clandestines. Lesquelles peuvent opérer et créer des dégâts, en Syrie comme en Irak. La capacité de nuisance de Daech risque de durer. Car sans transition sérieuse, liée au départ d’Assad, sans changement de la gestion politique à Bagdad, il y aura toujours la possibilité pour des groupes nihilistes de recruter des jeunes frustrés pour en faire des bras armés.
A ajouter que l’impunité règne depuis longtemps au Moyen-Orient, et est l’une des causes de l’instabilité, de la haine, et de la montée des extrémismes en tous genres. La Syrie mériterait aujourd’hui la fin de cette impunité-là en traduisant les criminels de guerre en justice. Mais à l’heure actuelle, vu les politiques russe, iranienne et américaine, l’espoir est mince.