Yémen : En attendant
2013
Le 25 février 2012, le
président Ali Abdallah Saleh au pouvoir au Yémen du nord depuis 1978 puis à la
république unie depuis 1990 renonce à son poste après avoir quitté le pays. Il
est remplacé par son vice-président Abd Rabbou Mansour Hadi élu suite à un
accord politique soutenu par les Etats Unis et l’Arabie Saoudite, et par la
majorité des acteurs politiques yéménites. Un gouvernement de transition est
formé, et des garanties aux proches de Saleh sont offertes pour leur épargner
des poursuites judiciaires.
Ainsi, la révolution qui a
mobilisé des millions de citoyens dans les places publiques à Sanaa, Taaz et
Aden pendant un an, est parvenue à renverser Saleh, tout en évitant de plonger
le pays dans une guerre civile généralisée. Dans le même temps, le système
politique est resté presque inchangé puisque l’élite politique du pays n’a pas été
renouvelée. Des manifestations ont aussitôt repris demandant des réformes et
s’élevant contre l’immunité accordée à Saleh et sa famille (surtout son fils et
ses neveux, anciens hommes forts de la garde républicaine et des services de
renseignements que le président Hadi a écarté ce mercredi 19 décembre de leurs postes dans le cadre d’une restructuration des forces armées).
Le pays doit aujourd’hui
faire face à plusieurs grands défis :
- Sur le plan constitutionnel,
un accord national doit être conclu pour rédiger la nouvelle constitution.
- Sur le plan politique, les
conditions doivent être réunies pour préparer les prochaines échéances électorales
(parlementaires et présidentielles).
- Au niveau sécuritaire, des
stratégies efficaces sont à élaborer pour faire face aux groupes proches
d’Al-Qaeda installés dans certains gouvernorats du sud-est du pays.
- Au niveau économique, des
mesures sont nécessaires pour garantir le fonctionnement des institutions de
l’état et attirer des investisseurs dans un pays pauvre et ravagé par la
corruption, la mauvaise gestion, le chômage et l’insécurité.
- Au niveau juridique, pour
répondre à la revendication des jeunes de la révolution de voir la justice
fonctionner indépendamment des compromis politiques et l’exigence du respect
des droits de l’homme dans une société considérée parmi les plus conservatrices
de la région.
Jusque-là, le gouvernement de
transition de Mohamed Basindawa ne semble pas faire preuve d’une grande
efficacité. Les aides financières et techniques promises par la communauté
internationale pour soutenir la transition tardent à arriver.
Le comité des sages que le
gouvernement a formé pour préparer une conférence de dialogue national a accompli
sa mission et présenté son rapport fin novembre. Présidé par Abdel Karim
Al-Ariani, ancien premier ministre, le comité a proposé un plan pour 6 mois de réunions consultatives et une composition
reflétant la diversité (ou la fragmentation) politique, régionale et tribale du
pays. La moitié des participants à la conférence proviendrait du sud et le
parti du congrès (du président déchu) aurait la plus grande délégation (112
représentants parmi les 565 participants). Mais ce dialogue qui devait débuter
avant la fin 2012 risque toutefois d’être reporté, car de nombreux points de
désaccord n’ont pas trouvé de consensus. Il s’agit en premier du refus de
certaines forces sudistes de participer si la question de l’adoption du
fédéralisme ou même l’acceptation d’une séparation pacifique n’est pas
débattue. Par ailleurs on note des divergences considérables entre forces
politiques concernant les compromis avec les Hawthis du nord (voir
la note à la fin de l'article) qui avaient combattu le régime Saleh, et les manœuvres
du parti Al-Islah (Islamiste, de tendance frères musulmans) qui cherche à se
renforcer en tant que premier parti politique en jouant le médiateur entre les
« extrêmes ».
A cela s’ajoute les réserves
de plusieurs imams et groupes salafistes quant à la déclaration de principe
évoquant l’accord sur la « nature civile » de l’état yéménite que la
constitution doit respecter. Et bien qu’Al-Islah approuve cette
déclaration, de même que les grands partis du pays (le parti du congrès et le
parti socialiste), le sujet sera sans doute évoqué et créera des tensions.
L’arrivée de l’émissaire
onusien Jamal Ben Omar à Sanaa la semaine dernière avait précisément pour
objectif d’aider à aplanir certaines
difficultés et accélérer les préparations. Pour le moment son initiative
n’a pas porté ses fruits. L’année 2013 sera donc décisive pour la survie du
processus politique et la construction d’un Yémen unifié et pacifié.
Bahreïn : Entre tensions
et blocage politique
Depuis mars 2011 quand les
troupes saoudiennes sont intervenues pour soutenir le régime d’Al Khalifah face
à l’opposition accusée de faire alliance avec Téhéran, le royaume du Bahreïn traverse
une phase d’instabilité et de paralysie politique. Si le gouvernement et ses
forces de sécurité sont parvenus à étouffer la contestation en détruisant la
place centrale dans la capitale Al-Manama où campaient les protestataires et en
arrêtant plus de deux mille opposants,
ils ne sont pas parvenus à maitriser la situation dans tous les quartiers
chiites des villes ou des villages à travers le pays.
Les enquêtes menées et les
comités formés pour présenter des rapports et proposer des réformes afin de sortir
de la grave crise politique qui coupe le pays en deux (une majorité chiite
marginalisée d’un côté et une minorité sunnite soutenant la famille Khalifa au
pouvoir de l’autre), n’ont pas encore abouti. L’opposition exige la libération
des détenus politiques et prisonniers d’opinion ainsi que l’arrêt des
poursuites contre ses activistes comme préalable à tout dialogue. Le pouvoir
quant à lui continue d’évoquer le complot iranien visant la stabilité du
royaume et accuse les opposants de vouloir renverser le régime et non le
réformer comme ils le prétendent.
Ainsi, les chances de trouver
un accord semblent faibles, et les institutions constitutionnelles n’arrangent
pas les choses. En effet, les élections partielles que le gouvernement a
organisées en septembre 2011 - et que l’opposition a boycottées suite à la
démission de ses membres du parlement - ont produit une assemblée totalement
loyale à l’exécutif. Ceci n’a fait
qu’aggraver le clivage politico-confessionnel et anéantir toute possibilité de
dialogue et de débat politique au sein des institutions de l’Etat, ce qui a
produit immanquablement une radicalisation du discours et des revendications politiques
de part et d’autre.
L’opposition dirigée par
Al-Wifaq du cheikh Ali Salman qui se contentait de réclamer que le premier ministre soit issu du plus
grand bloc parlementaire pour assurer une meilleure participation politique se
voit depuis plusieurs mois dépassée par le discours plus radical des jeunes
manifestants qui défient les autorités en appelant à la chute des Khalifa et de
leur système. Dans l’autre camp, les associations salafistes et la majorité des
personnalités libérales sunnites qui n’étaient pas nécessairement acquises à
toutes les politiques de la famille royale se trouvent aujourd’hui solidaires
du roi et du gouvernement par « affinité » confessionnelle et crainte
du changement.
Entre temps, plusieurs
prisonniers politiques ont été condamnés à la prison à perpétuité (comme Abdul
Hadi Khawaja, ancien exilé et militant des droits de l’homme). D’autres sont encore
menacés d’arrestation, des médecins et des employés dans l’administration
publique accusés de soutenir l’opposition ont été licenciés, et des
affrontements entre manifestants et policiers ont souvent lieu dans différentes
régions du royaume faisant plus d’une dizaine de victimes en 2012.
La répression et
l’étouffement de la révolution à Bahreïn ont été possibles car des facteurs
internes et externes y ont concouru. Ce
pays est victime d’un régime despotique et souffre dans le même temps d’une
fragilité « communautaire » divisant sa société. Sa « condition » régionale n’arrange
rien puisque sa politique est depuis des années fortement conditionnée et
influencée par la concurrence et la tension entre l’Iran et l’Arabie saoudite
(lire notre article de 2011 sur le « royaume oublié »).
Le petit état du golfe reste
donc instable. Seuls les appels pour la libération des détenus, l’arrêt de la
répression et le début d’un dialogue pour réformer le système politique et
permettre une participation de tous pourrait débloquer la situation actuelle. Des appels auxquels le régime Al-Khalifa
semble jusque-là sourd...
Rappel : Les Hawthis et la mouvance
du Sud
Au Yémen, un pays où le phénomène de
l’armement des tribus prend de l’ampleur, on a assisté entre 2006 et 2011 à
l’accroissement des mouvements de rébellion armée contre le pouvoir central de
Sanaa. Une guerre violente a eu lieu dans le nord du pays dans la Mouhafaza da
Sâada entre les Hawthis de la confession des Zoyoud (proches du chiisme – alors
que la confession majoritaire du pays est de type sunnite chaffeïte) et l’armée
yéménite. Les revendications principales des Hawthis concernent le développement
des régions dans lesquelles ils vivent et le droit de pratiquer leurs rituels
religieux à certaines occasions. Ils s’élèvent contre le pouvoir qu’ils
accusent de financer et soutenir dans leurs régions des réseaux salafistes qui
propagent des accusations d’apostasie à leur encontre.
En ce qui concerne le sud du pays, s’y
développe depuis de longues années un sentiment grandissant d’injustice et
d’exclusion économique et politique des élites depuis la réunification en 1990
puis la victoire du Nord sur le Sud durant ce qui a été appelé une
« guerre de sécession » en 1994. Avec l’affaiblissement du parti
socialiste à force de pression sécuritaire et de dissensions internes, des
groupes se dénommant «Mouvance du Sud» ont émergé accueillant à la fois des
militants du parti socialiste mais aussi des activistes indépendants. Ils ont
été les acteurs d’un soulèvement populaire et victimes d’affrontements
sanglants dans plusieurs villes du Sud.
Mais le déclenchement de la révolution contre le régime de Ali Abdallah
Saleh en février 2011, la constitution d’un large front d’opposition englobant
des partis et des forces sociales d’appartenances diverses, tout comme la
création d’un front de la jeunesse étudiante qui occupe les places publiques
ont mené les Hawthis et la mouvance du Sud à se joindre à la révolution.
Plusieurs de leurs demandes ont été intégrées dans le cadre des revendications
globales de l’opposition et du programme politique alternatif au régime Saleh
et de son parti du congrès national régnant.