De nombreuses organisations internationales
de droits de l’Homme (Human Rights Watch, Amnesty International, Commission des
droits de l’homme des Nations Unies, Médecins sans frontières, etc.) évoquent à
l’unanimité des violations graves des droits humains, des crimes et des
massacres, avec à l’appui des témoignages documentés de médecins syriens,
d’activistes, de déserteurs de l’armée et de citoyens - victimes des atrocités
commises par le régime. Des milliers de vidéos provenant de Syrie
montrent des scènes insoutenables de violence commises par les forces du régime
contre les manifestants, les détenus et la population civile.
Sur le terrain, les manifestations hebdomadaires ont atteint depuis
février un nombre supérieur à six cent tous les vendredis. Elles se sont
étendues à plusieurs quartiers de Damas et Alep, et on touché depuis deux
semaines Rakka et Hassaké dans le nord-Est du pays. Parallèlement à cela, le
nombre de déserteurs de l’armée et de volontaires prenant les armes pour
défendre leurs villes et villages est en constante augmentation. Ce qui donne
lieu à des opérations militaires plus fréquentes et à des affrontements avec
les forces armées du régime aussi bien dans les banlieues de Damas qu’à Darâa,
Homs, Idlib et Der Ezzor.
Jusqu’à présent, toutes les médiations et tentatives de trouver des
solutions se sont soldées par un échec. De nouvelles démarches seraient en
cours entre l’Europe et la Russie. La Turquie quant à elle prépare (avec le
Conseil de Coopération du Golfe) une conférence pour début Avril pour passer en
revue les différentes initiatives et possibilités qualifiées par Ankara de
« Tentative de la dernière chance ».
Dans ce climat d’enlisement de la situation aggravé par les
hésitations et les tiraillements de la
communauté internationale, le régime en profite pour tenter de mettre fin par
la répression la plus féroce à cette vague persistante de contestation. Il estime
pouvoir en finir avec les manifestations dans toutes les villes (en les occupant
militairement) pour les cantonner dans certaines campagnes et vaincre les
groupes de déserteurs (regroupés sous la bannière de l’Armée libre) afin de
forcer les acteurs extérieurs à négocier son maintien au pouvoir. Les
développements récents et la ferveur des manifestations ne montrent pourtant
pas de signes d’essoufflement et mettent clairement en échec la stratégie
purement sécuritaire du régime même si ce dernier est parvenu à reprendre le
contrôle de certaines zones à Homs, dans le Rif de Damas et la région du
Mont Zaouia (nord-ouest).
En dépit de tout cela, certaines opinions et réactions par rapport
à ce qui se passe en Syrie reflètent un « refus » de saisir l’enjeu
réel de la situation, et de condamner les crimes que commet le régime contre
son peuple.
Il semble utile aujourd’hui de rappeler quelques évidences parfois
oubliées ou tout simplement éludées sur la Syrie et la révolution qui s’y
déroule.
Vidéo - This is not a trailer (ceci n’est pas une bande d’annonce,
c’est la réalité syrienne).
Depuis combien de temps le clan Assad
règne-t-il?
La Syrie, une République, est gouvernée par
une seule famille depuis 42 années. Cela fait d’elle une république
héréditaire, le seul état arabe dans ce cas et le second au monde après la
Corée du nord. Hafez Al-Assad est arrivé au pouvoir en 1970 suite à un coup
d’Etat au sein du gouvernement Baasiste alors qu’il était ministre de la
défense. Il y est resté jusqu’à sa mort en l’an 2000 lorsque la constitution
fut modifiée (faisant passer l’âge présidentiable de 40 à 34 ans) afin de
permettre à son fils une ascension au pouvoir, président depuis. Le règne familial
ne se limite pas seulement au père et au fils. Le frère de Bashar, Maher est le
chef de la 4è division de l’armée (la plus équipée et la mieux entrainée) et
l’un des dirigeants de la garde républicaine. Il y a aussi ses deux cousins
germains, Zou Al-Himma Chalich et Hafez Makhlouf à la tête des services de sécurité.
Son beau-frère Assef Chawkat est l’un des hauts responsables des services de
renseignement, tandis qu’Atef Najib, autre cousin germain était gouverneur de
Darâa, la ville où les premiers massacres et tortures d’enfants ont eu lieu au
tout début de la révolution en mars 2011. Rami Makhlouf, quatrième cousin
germain dans cette liste, dispose des privilèges et des institutions
financières les plus importants du pays. L’oncle, le Général Mohamad Makhlouf
est considéré comme le premier conseiller au niveau des stratégies de
répression… Le clan Assad a donc une main mise totale sur les aspects
politiques, économiques et sécuritaires du pays qu’il gère selon ses intérêts,
avec des responsables du parti unique et quelques grands hommes d’affaires.
Quelles sont les principales
caractéristiques de ce régime ?
Hafez Al-Assad, puis son fils Bashar, ont maintenu
l’état d’urgence en Syrie déjà imposé depuis 1963 (date du coup d’état militaire
baasiste). L’état d’urgence a ainsi duré 48 ans. Des années durant lesquelles
il était interdit de manifester, de se regrouper et de lancer des initiatives
politiques. Les libertés individuelles et publiques étaient sous contrôle et le
recours à la solution sécuritaire et aux tribunaux militaires était
systématique pour toute question considérée comme une menace pour la sécurité
de l’Etat.
Selon la constitution adoptée durant 30
années sous Hafez et 11 sous Bashar, le parti Baas est proclamé « Leader
de la Nation et du Peuple ». Il organise les étudiants, les scouts, les
paysans et les travailleurs, les sportifs et les enseignants, à travers des
syndicats et autres unions. Il exige de tout candidat aux hautes fonctions de
l’état une adhésion au parti. Le système économique est entièrement contrôlé
avec un secteur public hypertrophié. En réalité, ce régime est un mélange
inspiré du modèle des pays de l’est avant la chute du mur de Berlin et de la
configuration nord-coréenne pour ce qui est de la dimension familiale. De plus,
afin de consolider son assise, le régime n’a pas hésité à partir de 1970 à
instrumentaliser la question confessionnelle. Il a pour cela recruté parmi ses
proches et nommé de nombreux responsables originaires de la même région et
communauté Alaouite que le clan Assad. Mais pas seulement, puisque l’élite au
pouvoir s’est associée avec des hommes d’affaires citadins et des notables
ruraux et tribaux provenant de toutes les confessions. Par conséquent, le
régime est d’essence clanique et sécuritaire dont les principaux acteurs sont
Alaouites, plutôt qu’Alaouite comme certains le disent de façon simpliste. Il
joue cependant sur cette fibre confessionnelle pour se faire passer pour le
seul garant et représentant d’une minorité (qui forme entre 10 et 12% de la
population en Syrie).
Le “jeune” Bachar a préservé intacte cette
structure sécuritaire et politique du régime de son père. Il a cependant ouvert
le secteur économique à la privatisation au profit de ses proches et de
certains commerçants et investisseurs d’Alep et de Damas en particulier.
Depuis, les relations avec la Chine et la Turquie se sont consolidées avant de
régresser récemment avec cette dernière. Le régime a également capté des
investissements des pays du Golfe (surtout du Qatar) à partir de 2004 qui se
sont interrompus en 2011 avec le début de la révolution. Pour ce qui est du
pétrole, une partie importante de ses revenus est directement gérée par la
présidence sans passer par le gouvernement ni le parlement. Cette pratique
obéit à ce que le père avait instauré comme étant « les considérations
stratégiques » de la Syrie.
Qu’est-ce que le totalitarisme Assadien?
Il n’existe pas une ville ou un village en
Syrie où l’on ne trouve pas de statue à l’effigie de Hafez Al-Assad, père,
grand frère, sauveur et visionnaire de la nation. Les manifestants en ont
détruit des centaines depuis le début de la révolution. La plupart des
institutions, des écoles, bibliothèques, cités sportives, rues et espaces
publics portent le nom d’Assad. Des portraits du père, de son fils Bassel (mort
d’un accident de voiture en 1994) et de Bashar parsèment les rues et les
administrations. Même les écoles islamiques sunnites (ouvertes par Assad père à
partir de la deuxième partie des années 80 suite à la guerre livrée aux frères
musulmans et la tentative de monopoliser le champ religieux) ont été nommées
« Ecoles Hafez Al-Assad pour l’enseignement du Coran ».
Les discours d’Assad père passaient en
boucle à la télévision d’état comme à la radio pendant 3 décennies. Maintenant
c’est au tour des citations du président fils d’être souvent diffusées en tant
que « proverbes » ou « paroles de sagesse ».
Plus important encore est de constater à
quel point les slogans sont imprégnés de l’image des Assad. Les soutiens au
régime nomment leur pays « la Syrie d’Assad ». La guerre des slogans
depuis la révolution oppose en permanence le mot « liberté » à celui
de « Assad ». Lorsque les pro-régime scandent par exemple
« Dieu, la Syrie, et seulement Assad ! », les opposants disent à
leur tour « Dieu, la Syrie et seulement la liberté ! ». Quand
les uns crient « Assad est notre guide pour l’éternité ! », les
autres y opposent « liberté pour l’éternité, contre ton gré
Assad ! »
Que représentent Hama, Tadmur, le Golan, la
Palestine, et le Liban dans la saga des Assad?
Israël a occupé le Golan en 1967. A cette
époque, Hafez Al-Assad était – comme nous l’avons déjà rappelé - ministre de la
défense. En 1973, la Syrie (alors présidée par Hafez) a tenté de récupérer ses
territoires occupés, tout comme l’Egypte pour le Sinaï en livrant une guerre
(la seule guerre arabo-israélienne à l’initiative des arabes) qui s’est soldée
par une nouvelle défaite. Israël occupe toujours le Golan, les deux parties
ayant conclu une trêve qui n’a jamais été violée depuis 1974. Le plateau du
Golan est par conséquent la région la plus calme de toutes les régions arabes
limitrophes avec Israël. A la résistance militaire armée a fait place depuis, un
discours politique et une rhétorique incessante autour de la « confrontation
de l’ennemi et de ses conspirations ». Ce discours instrumentalisé en
interne a servi à la fois à étouffer toute opposition estampillée d’emblée
comme un agent du complot sioniste, et a justifié toutes les persécutions
commises à l’encontre des adversaires du régime sous prétexte de préserver
l’unité nationale contre l’ennemi occupant.
En 1976, l’armée syrienne a envahi le Liban
avec la couverture de la ligue arabe et des Etats Unis, pour « arrêter la
guerre civile ». Le secrétaire d’état américain Henry Kissinger a détaillé
dans sa biographie ses contacts avec Assad puis avec les israéliens pour
déterminer les objectifs de l’invasion et les lignes de déploiement des forces
de Damas.
L’armée syrienne a donc occupé son petit voisin.
Elle a pris le contrôle de la vie politique libanaise et n’a pas mis fin à la
guerre civile mais l’a plutôt gérée jusqu’en 1991 en soutenant notamment certaines
milices libanaises. L’armée syrienne a par ailleurs considérablement affaibli
l’OLP et bombardé de nombreux camps de réfugiés palestiniens au Liban, qui a également
connu durant ces années noires deux invasions israéliennes.
L’alliance d’Assad passée avec l’Iran depuis
1980, quand la guerre avec son alter-égo baasiste et néanmoins ennemi Saddam d’Irak,
a permis à Téhéran de prendre une place de choix sur la scène libanaise dont le
Hezbollah est le fruit. En 1991, Assad a obtenu l’aval de Washington, en
participant activement à l’opération « tempête du désert » en 1991
contre l’Irak, pour parfaire son contrôle sur le Liban et reconfigurer le
paysage politique post-guerre. Il a accepté par la suite d’entamer des
négociations de paix avec Israël et participé à la conférence de Madrid et
toutes celles qui ont suivi. Tout en faisant cela, il n’a pas cessé d’arroser
l’opinion de son discours anti-impérialiste, antisioniste pour la défense de la
Syrie, la Palestine et de la nation arabe dans son ensemble. Il a exploité ainsi
sa présence dans la politique régionale pour faire oublier les massacres et les
persécutions commis à l’intérieur de la Syrie.
En effet, entre 1980 et 1985, sur plusieurs
phases, pas moins de 40.000 syriens ont été tués dans une guerre livrée par
Assad contre quelques centaines de combattants des frères musulmans qui l’avaient
défié. Sous prétexte de la lutte contre l’intégrisme islamiste, ces massacres
ont été passés sous silence par la communauté internationale. La ville de Hama
et la prison de Tadmur en ont gardé la mémoire. Des dizaines de milliers de
syriens ont été arrêtés et des dizaines de milliers contraints à l’exil dans la
même période.
Hama, février 82
Qu’en est-il de l’ancien bloc de l’Est et
du camp arabe de la « résistance et de l’obstruction » ?
Le régime des Assad a largement tiré profit
de son alliance avec l’union soviétique même si par ailleurs il n’a pas hésité
à collaborer à différents moments avec les Etats-Unis. Ces « bénéfices »
avec le bloc de l’est sont visibles à divers niveaux. L’aide militaire, la construction
des services de renseignement, les bourses d’études et les échanges
commerciaux. Mais plus important encore, le régime s’est donné une apparence « progressiste »
en s’alliant avec le leadership incarnant les « classes populaires et les
forces révolutionnaires » dans le monde. Son discours permanent sur
l’unité arabe, la défense de la cause palestinienne, et sa diatribe quotidienne
contre les régimes alliés à Washington a gagné un certain crédit auprès des publics
et observateurs (souvent de gauche) qui ont une connaissance lointaine et médiocre
de la Syrie et la région. L’emplacement géostratégique de la Syrie sur les
frontières d’Israël, de l’Irak, du Liban, de la Jordanie et de la Turquie, des
pays qui sont tous reliés à des conflits ou des guerres internes, lui a octroyé
un rôle marquant dans de nombreuses situations. Il s’est taillé une place de
choix dans les différentes négociations avec les parties internationales en
recherche d’issues aux crises. C’est ainsi qu’il a fait partie des négociations
concernant les otages américains et européens kidnappés au Liban par exemple et
qu’il a par la suite marchandé les conditions de la fin de la guerre civile. Il
a eu des contacts avec des émissaires en vue de négocier sur la question arabo-israélienne.
Il était également présent au moment de la guerre Iran-Irak, et de la guerre au
Koweït. Il a même passé des accords avec la Turquie concernant la question
Kurde alors qu’il avait permis au PKK d’utiliser le territoire syrien pour
préparer ses opérations contre Ankara.
Le fils a continué dans la foulée de son
père puisque la guerre contre l’Irak en 2003 et la « lutte anti-terroriste »
lui ont permis de collaborer avec les services de renseignements étrangers, notamment
en livrant des jihadistes-salafistes autorisés auparavant sur le territoire
syrien en transit vers l’Irak.
Au Liban, avec la montée grandissante d’une
opposition au régime syrien, l’assassinat de responsables politiques, de
journalistes et d’intellectuels, tous opposants à l’hégémonie de Damas, et
l’éclatement d’une intifada populaire contre cette dernière, Bashar a fini en
2005 par perdre « l’héritage » de son père. Il a évidemment accusé l’impérialisme
d’être à l’origine de ce « complot ». Pourtant, en 2008, après une
réconciliation avec la France (suite à la période de tensions sous Chirac entre
2004 et 2007), suivie d’une normalisation avec l’Arabie et les Etats Unis et le
retour des ambassadeurs occidentaux à Damas, les troubles sécuritaires et les
assassinats ont brusquement cessé à Beyrouth. Etrangement, le
« complot » qui ne visait que les ennemis libanais d’Assad s’est
arrêté quand ce dernier est sorti de son isolement diplomatique !
Le régime a donc construit durant 42 années
un discours articulé autour des complots impérialistes et sionistes sans que
cela ne se traduise sur le terrain par une quelconque action à part celle de
laisser passer des armes iraniennes pour le Hezbollah libanais. Il n’est pas
étonnant de voir certains milieux « anti-impérialistes » entrainés
dans le manichéisme du complot/résistance, et influencés par le matraquage
permanent d’une rhétorique bien rodée sur des décennies.
Le printemps arabe, la révolution syrienne
et la conspiration
Les transformations qui ont eu lieu suite
au déclenchement du printemps arabe il y a plus d’un an en Tunisie, Egypte,
Yémen, Lybie, Bahreïn ont été saluées à travers la planète. Des arabes
d’horizons politiques divers se sont également joints à la célébration. Il n’en
a pas été de même lorsqu’il s’est agi de la Syrie dont le président annonçait
déjà en février 2011 qu’elle serait une exception car le « peuple le
soutient, les réformes sont en cours et que sa politique étrangère reflète
l’opinion de la rue ». Lorsque les syriens se sont soulevés, les silences
se sont fait sentir et nombre de ceux qui ont fêté les révolutions ont commencé
à distinguer le cas syrien et à évoquer les complots… Tantôt se sont les
salafistes, tantôt l’Amérique et la France de Sarkozy, sinon l’Arabie Saoudite,
les frères musulmans ou bien la Turquie, mais aussi le Qatar et parfois toutes
ces parties ensemble ! En quelques jours, Doha et la chaine Al Jazeera ont
perdu le statut élogieux et exemplaire pour endosser celui de la traitrise et
la collaboration avec Washington. Erdogan, le « héros qui a fait face
à Israël » lors de l’évènement de la flottille de Gaza est devenu l’agent
de l’impérialisme et du sionisme. Le discours sur les libertés et
l’affranchissement du despotisme a été balayé par des considérations évoquant
des projets néocoloniaux au Moyen-Orient
et en Palestine. L’intervention militaire de l’Otan, suite à une
résolution des Nations Unies, contre le tyran libyen sourd à toute médiation
n’a fait que renforcer cette croyance dans la conspiration et l’invasion
planifiée. Pourtant, les capitales occidentales n’ont eu de cesse de rappeler
l’impossibilité de répéter le scénario Libyen en Syrie, d’autant plus que la
Russie et la Chine y sont opposées au point de ne même pas condamner fermement
les crimes du régime. Alors où voit-on un plan d’invasion et d’ingérence ?
Malgré toutes les images, les films et les
rapports établissant la cruauté du régime syrien à côté duquel les régimes de
Moubarak, ou Ben Ali ou Saleh ou Al Khalifa passent pour des « tendres »,
on continue d’évoquer l’impérialisme et les complots. Certains auteurs de la gauche pavlovienne qui
font abstraction des peuples et favorisent plutôt les régimes, les frontières, les
conflits et les analyses géostratégiques (souvent erronées) ont même délibérément
fait diversion sur ce qui se passe en Syrie en évoquant des questions d’une
naïveté et d’une évidence déroutantes. A titre d’exemple lorsque le cas syrien
est abordé, ils répondent en questionnant sur la démocratie en Arabie Saoudite
ou sur les richesses du Qatar !
Tout se passe comme si l’absence de libertés en Arabie et les ambitions et
l’argent du Qatar mettaient en doute la critique d’un régime despotique en
Syrie ! Quel rapport y-a-t-il avec les aspirations des syriens à se
libérer de la dictature après 42 ans de souffrance? Aucun des sceptiques
de la révolution syrienne n’a apporté de réponses concernant l’enjeu réel des
fameux complots. Si complot il y a, qu’attendent alors ses acteurs
(occidentaux, arabes, ou turques) pour intervenir comme l’avait fait Bush en
Irak ?
Funérailles d’un manifestant
tué par l’armée du régime à Rakka le 16 mars 2012
Le « refrain » des islamistes et
des minorités
Les soutiens au régime syrien qui se
prétendent attachés à la laïcité attisent les peurs d’une éventuelle
alternative islamiste au Baas. En focalisant sur « l’islamisme versus la laïcité »,
ils éludent la question du despotisme et des libertés oubliant au passage que
le despotisme baasiste n’avait de laïque que les slogans. Le code de la famille
en Syrie est inspiré des principes de la charia et les pratiques dans la
majorité des cercles du pouvoir sont confessionnelles. La constitution
considère l’Islam comme une source de législation, et la nouvelle constitution
proposée par Bachar le mois dernier stipule que le président doit être
musulman !
Le pire dans cette dualité aussi bien fabriquée que fausse c’est
l’assertion qui met en exergue une peur pour les minorités sois disant
protégées par le régime. Il est bien entendu question des alaouites et des
druzes, mais surtout des chrétiens. Or, trois logiques déplorables sont
véhiculées à travers ce discours : la première réduit des êtres humains à
des chiffres sans que soit considérée la possibilité qu’il y ait des opinions,
des valeurs, et des intérêts divers traversant leurs communautés religieuses et
les clivages verticaux de leur société. La deuxième est d’ordre éthique, puisque
les défenseurs des « minorités » préfèrent soutenir un régime prêt à
exterminer la majorité sous prétexte que cette dernière pourrait menacer les
minorités si elle arrivait au pouvoir. Du coup, le sacrifice de la majorité
devient licite voire nécessaire pour protéger les minorités. La troisième c’est
la tendance à reprendre sans nuance et à diffuser la propagande mensongère du
régime sur les minorités comme une vérité absolue. Mais au fait, quand entre
l’indépendance de la Syrie au milieu des années 40 et l’arrivée des Assad au
pouvoir en 1970, a-t-on vu ces « minorités » menacées?!
Pour aller plus loin, la laïcité dont ces individus se revendiquent,
n’autorise pas à définir les personnes en minorités et majorités suivant leur
appartenance confessionnelle. Cela enfreint le principe démocratique selon
lequel tous les citoyens détiennent des droits civiques égaux et des
convictions politiques dont seules les urnes sont à même de départager.
Le plus
ironique dans l’affaire c’est qu’en Occident, une partie de la mouvance de
gauche et une de l’extrême droite convergent (c’est le cas en France par
exemple) dans l’agitation du spectre de l’islamisation et le soutien à Assad.
Elles justifient ses craintes à travers les exemples des résultats des
élections tunisiennes et égyptiennes. Quant à la notion de droits humains et de
liberté si chère à leurs yeux, elle s’évapore quand il s’agit de l’autre rive
de la méditerranée.
Indépendamment de cela, quelques questions (de bon sens) méritent
d’être posées. L’arrivée des islamistes au pouvoir à travers des élections
libres et l’éventualité qu’ils en sortent par les urnes est-elle plus
dangereuse que la dictature et l’oppression ? Et si le régime despotique
se maintenait encore et encore, son alternative à terme serait-elle non
islamiste ? N’y-aurait-il pas un préjugé « raciste » sous-jacent
postulant que les arabes et les musulmans ne sont pas prêts pour la
démocratie ? Et, d’abord, qui peut affirmer que les islamistes constituent
un camp homogène et qu’ils sont les plus forts en Syrie ?
Même à supposer - comme le prétendent certains - que la révolution
syrienne soit salafiste, cela légitime-t-il les bombardements, la torture
d’enfants à Darâa, l’égorgement de familles entières à Karm Al- Zaitoun à
Homs et à Edlib? Argumenter du caractère salafiste de la révolution est devenu
en soi une justification implicite de la barbarie du régime et une incitation
au meurtre des prétendus « islamistes ».
De la lassitude, l’ingérence, la militarisation
et le chaos
Il est possible que certains de ceux qui
ont suivi les développements du printemps arabe soient gagnés aujourd’hui par
une forme de lassitude. L’intérêt pour ce qui se passe en Syrie s’amenuise au
fil du temps en raison de la durée de la révolution et de la malheureuse
banalisation de la mort au quotidien. Faut-il pour autant faire abstraction de
ces milliers de victimes et revenir à des options préconisant soit de négocier
avec un criminel, soit de maintenir le despotisme en rejetant catégoriquement
la possibilité d’une intervention étrangère ? Cette dernière ne se limite
pas à une dimension militaire comme se le représentent la plupart de ceux qui y
sont opposés. L’aide humanitaire et médicale, les pressions politiques, les sanctions
économiques et financières, les plaintes auprès de tribunaux internationaux et
le renvoi d’ambassadeurs sont autant de formes d’interventions qui pourraient
peser à terme sur le régime. De plus, comment qualifier les soutiens logistiques
et technologiques russe, chinois et iraniens au régime Assad ? N’est-ce
pas déjà une intervention ?
En outre, si l’intervention militaire
suscite des réactions épidermiques car elle renvoie à des expériences négatives
précédentes, reste que la responsabilité des Nations-Unies et de la communauté
internationale est bien d’intervenir par tous les moyens pour empêcher les
crimes contre l’humanité. Si la politique des deux poids deux mesures se
pratique dans plusieurs régions du monde, cela ne change en rien la validité et
le bien fondé du principe de cette mission. En tout cas, l’évocation du
principe d’intervention militaire, bien que légitime, déchaine les passions
alors même que cette option en Syrie n’est pas à l’ordre du jour dans les
cercles de décision occidentaux comme arabes.
Qu’en est-il maintenant du chaos et de la crainte d’une guerre
civile ? Est-il pensable aujourd’hui de demander à des centaines de
milliers de manifestants qui ont brisé le mur de la peur pour réclamer leur
liberté, leur droit à la citoyenneté et qui ont perdu des proches dans des
conditions effroyables de revenir sous le joug de la dictature pour les années
à venir afin de restaurer « la paix et la stabilité » ? Les
victimes sont donc supposées arrêter la contestation alors même que les Assad
n’envisagent pas un instant de quitter le pouvoir et préparer une transition
pacifique pour stopper l’effusion de sang. Bashar lui-même menaçait que s’il
était déchu un « séisme frapperait la région et le monde entier »… 10.000
morts plus tard et des centaines de milliers de vies ravagées n’est-ce pas déjà
le chaos ?
La démagogie atteint son paroxysme lorsque
les prétendus « chercheurs » et « spécialistes du moyen orient »
mettent en garde contre une militarisation de la révolution. C’est oublier que
ce n’est que 6 mois après le début d’une révolution pacifique (alors que ces mêmes
« chercheurs et spécialistes » étaient encore silencieux) que les
victimes ont été poussées à la légitime défense. C’est également nier que les
déserteurs de l’armée ont fui précisément en raison de leur refus de tuer les
enfants de leur propre peuple. Il importe de souligner que les formes de
protestation pacifiques existent encore et restent la voie privilégiée. Les
manifestations continuent d’avoir lieu, et même s’étendent horizontalement, les
grèves, les appels à la désobéissance civile, les sit-in et les productions
artistiques sont autant de facettes d’une révolution qui se revendique
pacifiste. La militarisation s’est imposée dans certains cas comme une réaction
à la violence du régime et à son refus de quitter le pouvoir. De nombreux
syriens la justifient car ils estiment que le régime ne comprend que le langage
de la violence et qu’il ne peut tomber que par la force. Ont-ils raison ?
Il n’appartient à personne d’autre que les syriens de répondre à cette question.
Il leur appartient également d’opter pour toutes les stratégies qu’ils
considèrent bonnes pour sortir de leur cauchemar.
Le peuple syrien et seulement le peuple
syrien
La géostratégie, l’islamophobie, les
soupçons de conspiration à Washington, Paris et Tel-Aviv ainsi que la crainte
pour les minorités en Syrie ne devraient pas détourner l’attention du véritable
enjeu au cœur de cette révolution. Ce qui se joue avant tout est tout
simplement la liberté du peuple syrien et son droit à la dignité. Tout le
reste, toutes les analyses ne font pas sens si elles n’intègrent pas ce
principe éthique et politique qui est de reconnaitre avant tout le droit du
peuple syrien à se libérer. Par la suite, il fera ses propres choix et
traversera des épreuves sans doute difficiles après de longues années de
dictature jusqu’au jour où fort de ses expériences et sacrifices, il trouvera
une nouvelle manière d’écrire son histoire…