Mais l’an 2013 fut témoin d’un violent retournement de
situation. La férocité de la répression en Syrie (y compris à l’arme chimique)
qui avait transformé le processus révolutionnaire en conflit armé, le coup
d’état militaire renversant le président élu en Égypte, le manque d’expérience
politique et les échecs des transitions en Libye et au Yémen, l’émergence de l’État
Islamique ou encore les luttes acharnées entre acteurs régionaux (notamment
l’Iran et l’Arabie saoudite) ont tous créé des impasses et généralisé la
cruauté et la terreur. Désormais, une phase contre-révolutionnaire s’est installée,
dont les différents auteurs – quelles que soient leurs divergences d’intérêts, ont
prétendu ramener la stabilité. Cette dernière, était redevenu l’ultime priorité
des politiques étrangères occidentales, au détriment des libertés et de la
justice, par crainte de l’arrivée des réfugiés et de la montée des forces de
l’Islam politique.
La suite connaitra des interventions militaires iranienne et
russe en Syrie, saoudienne et émirati au Yémen, américaine contre l’État
Islamique en Irak et en Syrie, et un chaos répandu en Libye. Elle connaitra également
la paralysie du système onusien, laissant par son inaction des gouvernements auteurs
de crimes de guerre et crimes contre l’humanitésévir en toute tranquillité.
Parole nouvelle
Malgré ces revers tragiques, et malgré les nombreuses
déchirures et catastrophes humanitaires, certains des acquis des révolutions
arrachés en 2011 et 2012 se sont consolidés. De la souffrance et des échecs sont nés des
écrits, de l’art, des récits, une parole nouvelle qui fonde une mémoire
collective face au révisionnisme et négationnisme des régimes et de leurs
relais, et une volonté que portent des militants et des juristes (en partie exilés)
d’en finir avec l’impunité dans leurs pays. Il s’est formé aussi, dans plusieurs sociétés
longtemps bâillonnées par la censure et l’auto-censure, une puissance dans l’expression
de la résistance à toute hégémonie. On observe encore aujourd’hui le courage et
la richesse des débats et des initiatives que porte cette expression, notamment
sur les droits des femmes, les libertés personnelles, la religion, la question
communautaire, la violence, la prison, la corruption et le rôle politique des
militaires. Et on constate à quel point il est difficile pour les
contre-révolutions de l’étouffer.
À
cela s’ajoute le cas de la Tunisie qui représente, malgré les failles et les
nombreux défis, un modèle de transition politique prometteur. Cette exception
tunisienne s’explique surtout par le fait que l’armée a gardé ses distances du
champ politique, et n’a pas opté pour la répression en 2011. La chute de Ben
Ali a été rapide, et les forces politiques du pays ont fait preuve durant et
après la révolution de beaucoup de pragmatisme et de
« modération ». En outre la
société tunisienne, moins divisée verticalement que la plupart des sociétés
arabes et dotée d’une large classe moyenne éduquée, semble réussir son pari
démocratique, même si les risques de régression que peuvent provoquer les
déceptions sociales et économiques pèsent toujours.
Une deuxième vague?
Depuis février 2019, un nouveau souffle vient secouer la région et
renforcer les acquis des révolutions. Il est porté cette fois par les soudanais
et les algériens. Comme leurs voisins en Tunisie ou en Egypte en 2011, les
millions de manifestants pacifistes à Khartoum, Alger et Oran se sont
réapproprié l’espace public, ont reconstruit
des liens de solidarité sociale et retrouvé une fierté perdue depuis de longues
décennies. Réclamant à leur tour la liberté, le changement, les réformes, la
justice et le retrait des présidents qui se voulaient « éternels »,
ils montrent que les contre-révolutions et les militaires ne sont pas une
fatalité régionale.
Leurs
soulèvements ont certes encouragé des milliers d’égyptiens, soumis depuis 6 ans
au règne du Général Sissi, à sortir de nouveau dans les rues en ce mois de septembre.
Une deuxième phase révolutionnaire semble débuter, avec ses promesses et ses
ambiguïtés. Et s’il est encore tôt de se prononcer avec certitude sur ses ses
scénarios et aboutissements , ce qui est certain en revanche, c’est que
plusieurs des processus déclenchés il y a huit ans sont toujours en vie et que
leurs échos et conséquences nous accompagneront longtemps encore.
Ziad Majed
Article paru dans l'Orient-Le-Jour