A
l’occasion du cinquantième anniversaire de l’occupation de Jérusalem Est, de la
Cisjordanie et de Gaza, la romancière Ayelet Waldman et son compagnon l’essayiste
Michael Chabon se sont associés à l’ONG israélienne «Breaking the Silence» pour
demander à 24 écrivains[1] de
renommée mondiale de se rendre dans les territoires occupés. Objectif: témoigner
du quotidien des palestiniens et livrer des courts récits permettant aux
lecteurs (avisés comme non avisés) de réaliser ce que sont concrètement les
couts humains de l’occupation et la colonisation.
Le
résultat est sans appel. Tous les écrivains, sont revenus bouleversés, accablés
par l’ampleur de la violence physique et psychique que subissent les
palestiniens. Leurs histoires relatent les longues heures d’attente humiliante
sur les checkpoints de l’armée israélienne qui minent leur vie dans les
banlieues de Jérusalem et en Cisjordanie. Elles évoquent la haine et les agressions
dans les rues d’Hébron où quelques centaines de colons armés, protégés par les
soldats, squattent impunément des appartements et maisons en chassant leurs
propriétaires, et interdisant aux dizaines de milliers de palestiniens l’accès
aux quartiers du centre-ville. Ces histoires restituent aussi des détails de
vies fracassés par l'édification du mur sur des terres palestiniennes, séparant
maisons, écoles, champs agricoles et commerces dans plusieurs localités.
Même
le Péruvien Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature, défenseur d’Israël et
opposé au boycott de ses institutions académiques, écrit après sa visite :
«les colonies étendent la présence israélienne et démantèlent le territoire que
devrait occuper, en principe, le futur Etat palestinien, au point de le rendre impraticable».
Il ajoute que dénoncer la politique de Tel Aviv est devenu pour lui une
obligation morale.
Visibles
et invisibles
En
donnant de la chair et des os au mot «occupation», resté longtemps abstrait,
parfois évité et souvent vidé de toute connotation dans les médias ou les
déclarations politiques en Occident, plusieurs récits rappellent les politiques
israéliennes opprimantes que sont la «réalité banale» du vécu palestinien. Ils
décrivent la construction d’autoroutes sur des terres confisquées, réservées
exclusivement aux colons et aux soldats de l’occupation, rendant «invisible»
toute existence palestinienne pour les usagers, et fragmentant d’avantage le
territoire de la Cisjordanie. Ces récits racontent également comment des dizaines
d’oliviers sont arrachés et régulièrement volés par des colons qui repoussent
les paysans palestiniens loin de leurs champs et les privent de leurs sources
de revenus et de leur patrimoine naturel. Ils exposent enfin les mesures répressives contre
les jeunes et les moins jeunes autour des colonies qui se multiplient [tel un
cancer] et s’imposent sur les collines et à proximité des sources d’eau. De la
plume de ces écrivains, ce long recueil d’abus, de violations des droits humains
et du droit international rend «visibles» et concrètes l’occupation et la
souffrance des palestiniens.
Addiction
et politicide
L’un
des témoignages les plus surprenants dans cet ouvrage, est celui de l’écrivaine
américaine Rachel Kushner, qui met en lumière la consommation de «Mr. Nice
Guy» -une drogue classée parmi les «cannabinoïdes synthétiques»- par des
enfants dans le camp de Shuafat, près de Jérusalem. Cette substance «endommage
le cerveau et ruine des vies... On en trouvait des paquets vides sous nos pieds
en traversant le grand parking où les bus ramassent six mille enfants par
jour et leur font passer le poste de contrôle pour aller à l’école à
Jérusalem-Est, puisque le camp n’a que quelques établissements pour les élèves
du niveau élémentaire», écrit-elle.
On
découvre là une conséquence peu connue du stress causé par les épreuves des
barrages. Une situation de fragilité que les dealers exploitent lors des
rassemblements matinaux de milliers d’enfants palestiniens dont la plupart
seront en proie à la toxicomanie et aux pathologies graves qui y sont liées. En
somme on assiste à la destruction lente d’une génération dont l’avenir est
incertain.
Le
but de l’occupation est « non seulement de s’emparer des territoires mais
aussi de briser les âmes », écrit la canadienne Madeleine Thien.
On
ne peut mieux résumer la politique israélienne dans les territoires
palestiniens. Une entreprise de «politicide» à l’œuvre depuis des décennies
sous l’œil impuissant et parfois complice de la communauté internationale. Cet excellent
témoignage offre donc une opportunité de plus pour dénoncer sans jamais
renoncer…
Ziad Majed
Article paru dans l'Orient Littéraire, Décembre 2017
[1] Lorraine Adams, Geraldine Brooks, Lars
Saabye Christensen, Anita Desai, Dave Eggers, Assaf Gavron, Arnon Grünberg,
Helon Habila, Ala Hlehel, Fida Jiryis, Maylis de Kerangal, Porochista
Khakpour, Hari Kunzru, Rachel Kushner, Eimear McBride, Colum McCann,
Eva Menasse, Emily Raboteau, Taiye Selasi, Raja Shehadeh, Madeleine Thien,
Colm Toibin, Mario Vargas Llosa, Jacqueline Woodson | Un Royaume d'Olives et de Cendres, Robert Laffont, 2017.