Ecrire
sur Samir Frangié c’est prendre l’immense risque de ne dire que peu de choses
sur le parcours exceptionnel d’un intellectuel, d’un homme politique, d’un
grand ami, et d’un citoyen nourri tout au long de sa vie d’espoir. L’espoir du
changement, l’espoir des réformes, l’espoir du dialogue, l’espoir de
l’indépendance et l’espoir du rejet définitif du fanatisme et du fatalisme.
Entre
1996 et 2016, j’ai eu la chance d’accompagner, d’observer - de près comme de
loin - les luttes politiques et sociétales de Samir. De les apprécier, de les
partager, et parfois de les critiquer tout en réalisant à quel point elles
étaient indispensables pour la survie de la politique, de la civilité et de
l’idée même de ce qu’il aimait qualifier du «vivre ensemble» au
Liban.
Et
si son attachement infatigable à l’espoir faisait de lui un optimiste incurable,
les années 2000 – 2005 furent celles où son travail et son optimisme
promettaient enfin de porter les fruits de tous ses combats. Car du
«Rassemblement de Qornet Chahwan» qu’il a fondé autour du
Patriarche maronite Sfeir réclamant le respect de l’accord de Taéf et le
retrait des troupes syriennes du Liban (suite à la fin de l’occupation israélienne
du sud du pays), au «Minbar Dimocrati» que nous avons ensemble
co-fondé avec Habib Sadeq et des personnalités et forces démocratiques du pays,
jamais le camp indépendantiste n’avait été aussi large et déterminé. La
renaissance de la politique qui a suivi, le défi du régime syrien et de ses
collaborateurs libanais, le «Rassemblement du Bristol», et puis
l’assassinat de Rafic Hariri allaient tous donner au «Soulèvement de
l’indépendance» sa grandeur, son élan et sa puissance. Et ce n’était
autre que Samir Frangié qui en lira le premier communiqué !
Ainsi,
le 14 mars 2005, le plus beau jour de notre histoire libanaise, fut
l’aboutissement de longues années de courage, de créativité, d’initiatives et de
persévérance, dans lesquels Samir était toujours au rendez-vous.
Malheureusement pour lui et pour nous, le retour en force des considérations
confessionnelles, des illusions identitaires et des alliances régionales, des
attaques assassines du régime Syrien et de ses alliés locaux, de la guerre
israélienne de Juillet 2006 et de l’invasion militaire du Hezbollah de Beyrouth
en 2008 ont eu raison des bourgeons de notre court printemps.
Depuis,
les révolutions arabes et la lutte acharnée du peuple syrien pour arracher sa
liberté et restaurer sa dignité ont redonné espoir à Samir, malgré tous les
revers, les tragédies, et les monstres qui surgissent dans le clair-obscur entre le
«vieux monde qui se meurt», et le nouveau «qui tarde à
apparaître» (comme le disait si bien Antonio Gramsci).
L’œuvre
que Samir nous a laissé, à travers sa vie de combat, puis à travers les pages
de son ouvrage «Voyage au bout de la violence», dédié à Anne sa compagne,
en disent long sur la générosité de l’homme, la finesse de l’intellectuel et la
détermination du politique qu’il était. Ses questions sur l’Etat, la
citoyenneté, la société, autrui, la laïcité et
toutes les expériences douloureuses et inachevées qu’il a (nous avons) vécues,
resteront les nôtres. Et toute réponse
que nous essaierons d’amener aujourd’hui et demain, s’inscrira irrévocablement
dans la continuité de celles qu’il a déjà semées sur le long chemin vers la
démocratie et la renaissance libanaise et arabe qu’il appelait de
ses vœux.
Repose
en paix, camarade. Tu vas nous manquer, mais ton espoir nous accompagnera pour
toujours.
Ziad Majed